Quand la finance tue la démocratie

Publié le par MS21

Quand la finance tue la démocratie

Quand la finance tue la Démocratie

 

La Démocratie, comme principe d’organisation sociale, permet la création de richesses par les citoyens d’une Nation. A contrario, la dictature de la finance, que nous subissons appauvrit notre pays, son économie et son peuple. Quels sont les mécanismes destructeurs de cette dictature financière ? Comment résister ?

 

« Personnellement, je préfère un dictateur libéral à une démocratie dont tout libéralisme est absent » Friedrich Hayek in El Mercurio, Avril 1981. (Hayek est un économiste connu comme un des principaux promoteurs du néolibéralisme, il a collaboré avec le gouvernement chilien pendant la dictature de Pinochet...)

 

I – Cette dictature de la finance n’est pas une fatalité mais une construction politique

 

Il est essentiel de comprendre que cette mainmise des marchés financiers sur l'économie n'est pas le fruit d'une évolution inévitable et inéluctable des évènements, liés à de quelconques « contraintes incontournables de la mondialisation ».

 

La crise économique de 1929 et ses conséquences catastrophiques, notamment le déclenchement d'une deuxième guerre mondiale, avait discrédité, après-guerre, la doctrine économique dite néolibérale qui prétendait que le libre jeu du marché assurait l'allocation optimale des ressources et l'équilibre général de l'économie. C'est pourquoi de 1945 jusqu'aux années 1970 la répartition des richesses s'effectuait d'une façon plus favorable au travail (aux salariés notamment) qu'au capital.

 

A partir de la fin des années 1960, et notamment suite aux évènements de 1968 en France et dans le monde, on constate une baisse des profits liés aux conquêtes sociales et à l'amélioration des revenus des classes laborieuses. Cela n'a pas manqué d'inquiéter fortement les classes dirigeantes qui profitent du contexte de la crise économique débutée en 1973 pour remettre à l'honneur le néolibéralisme et le faire accepter par l'opinion publique. Des gouvernements acquis à cette doctrine accèdent au pouvoir dans les années 1980 (Reagan aux USA, Thatcher au Royaume-Uni...) et mettent en place des politiques de déréglementation financière. Progressivement, tous les obstacles aux mouvements de capitaux sont supprimés. L'UE (Union Européenne), loin de s'opposer à ces politiques, contribue avec ardeur à leur mise en place.

 

Toutes ces mesures sont des choix politiques effectués par les classes dirigeantes pour maintenir l'hégémonie du système capitaliste. En voici quelques exemples particulièrement parlants pour la France et l'UE :

1984 : loi bancaire déréglementant le métier bancaire ;

1986 : acte unique européen (Art 16-4 « Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée [… Le Conseil] s’efforce d’atteindre le plus haut degré de libération possible. L’unanimité est nécessaire pour les mesures constituant un recul en matière de libération des mouvements de capitaux. ») ;

1986 : loi Bérégovoy sur la déréglementation financière (déréglementation, désinter-médiation, décloisonnement, désinflation)

1988 : la France accepte le principe de la fin du contrôle des changes et la liberté de circulation des capitaux – sans création de la moindre harmonisation fiscale européenne

1988 : directive Delors-Lamy prévoyant la libéralisation complète du marché des capitaux pour 1990

1990 : forte diminution de la fiscalité sur les revenus du capital

1992 : traité de Maastricht (« toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites »)

1998 : création d’un régime fiscal avantageux pour les stock-options par Dominique Strauss-Khan

2001 : directive Bolkestein facilitant les OPA ;

2004 : projet de constitution européenne, reprise dans le traité de Lisbonne. (https://www.les-crises.fr/deregulation-financiere/)

 

II - L’affaiblissement de l’État

 

Dans le cadre de cette politique néo-libérale, deux dispositions concourent à l’affaiblissement de la puissance publique. Une a été la mise en place de la privatisation des emprunts d'État. L’autre est l’incurie de nos gouvernants devant la fuite des capitaux et l’évasion fiscale.

 

Depuis 1945 jusqu’au début des années 1970, la France emprunte directement auprès de la Banque de France, banque nationalisée qui est le banquier central au service de la politique décidée par les gouvernements. Si la France était restée dans cette logique politique la dette serait aujourd’hui d’environ 200 Mds d’euros et l’État économiserait les 45 Mds d’intérêts qu’il verse en contrepartie des emprunts contractés auprès de banques privées. Ces milliards nourrissent les financiers mais sont perdus pour l’économie réelle. (Voir « La dette publique, une affaire rentable : à qui profite le système ? » de A.J. Holbecq et Derudder chez Ed Yves Michel.) Qu’attendent les responsables politiques pour fournir la justification économique de cette contrainte?

 

Imaginons un instant que la France retrouve ce statut initial ; la dette française de 2 000 Mds s’éteindrait en 7 ans. Mais chut, mieux vaut taire cela. Les Français pourraient réagir comme les Islandais qui ont fait un bras d’honneur à la finance et ont envoyé leurs banquiers voyous en prison… ou comme les Suisses ont été tentés de le faire.

 

Et que dire des 60 Mds (estimation basse) de l’évasion fiscale et des 100 Mds en 2017 de la fraude fiscale que le gouvernement ne peut contrôler, plus soucieux de réduire le nombre de fonctionnaires de Bercy que de débusquer les fraudeurs.

 

III-Comment s’exerce la voracité destructrice de ce Léviathan qu’est la dictature de la finance?

 

Le Léviathan est la représentation des puissances du Mal qui apparaissent sous l’aspect d’un monstre colossal aquatique à plusieurs têtes. Il peut être considéré comme l’évocation d’un cataclysme terrifiant capable de modifier la planète et d’en bousculer l’ordre sinon d’anéantir le monde. Ce mythe légendaire appartient à l’inconscient collectif de l’humanité et en est un miroir de ce qu’elle est capable d’engendrer. A travers les mécanismes destructeurs de la finance mondialisée, nos oligarchies mondiales financières et politiques ont réussi à l’actualiser.

 

Nous en verrons ses différentes réalisations dont une grande partie est inconnue par nos responsables politiques et par la totalité des citoyens qui la subissent. Une rapide énumération est présentée pour illustrer sa grande diversité. Car la réalité dépasse la fiction et l’imaginaire humain n’a pas de limite. Non seulement le droit à polluer, la possibilité de mettre des salariés au chômage (mécanisme des LBO), le droit d’endetter des classes populaires au delà du raisonnable (subprimes), la spéculation sur les matières premières, mais aussi l’absence d’argent (les dettes des autres pays) sont devenus des marchandises qui produisent … de l’argent.

 

Jusqu’à ce que ce château de virtualités s’écroule, comme le prédisent de plus en d’économistes, d’autant que D.Trump désire faire sauter les maigres verrous de sécurité mis en place suite à la crise de 2008. Certes, les citoyens ne peuvent pas facilement à comprendre le mécanisme caché de tous ces systèmes mais ils doivent retenir que ce Léviathan a de nombreuses têtes voraces et qu’il leur revient d’arrêter ce jeu de casino conduisant le genre humain dans une course folle et dangereuse.

 

IV -Les acteurs de ce casino fou

 

D’après le G20, - organisme non suspect de bolchevisme ! - les acteurs les plus dangereux sont  (pour les coûts directs)  les grandes banques qualifiées d’entités systémiques. Et c’est pour éviter justement que ce système bancaire s’écroule et donc pour le renflouer dans l’urgence que les Etats européens ont dû mobiliser l’argent public, c’est à dire dépenser  4500 Mds en 2008 à destination des banques privées.

 

Les coûts indirects sont bien plus élevés :

-chute de l’activité économique,

-montée du chômage,

-propagation de la crise des finances publiques et à l’économie réelle.

Et en conséquence toute la population subit une baisse de pouvoir d’achat qui se traduit en crise économique et crise profonde de la démocratie avec les résurgences réactionnelles des gouvernements d’extrême droite.

 

Mais notre Léviathan puise aussi de nouvelles forces via deux catégories d’acteurs :

- les investisseurs institutionnels (organismes collecteurs d'épargne agissant pour le compte de clients; par exemples des assureurs, des caisses de retraites...)

- les grandes banques d’investissement (banques qui s'occupent des activités liées aux marchés financiers).

 

L’économie réelle ne les intéresse pas, leur seule finalité est de maximiser la valeur boursière et le rendement des entreprises sans se soucier des délocalisations, et autres licenciements boursiers etc.

 

Enfin et mieux encore, on assiste à la création d’une « exo planète », un continent financier virtuel. Piller l’économie réelle ne suffit pas à nos acteurs prédateurs, ils ont donc créé un continent financier virtuel encore plus juteux - en raison de l’intensification des échanges par le biais de programmes informatiques réagissant à la nanoseconde - mais dont l’explosion peut intervenir à tout moment. On y trouve :

 

- Le « Shadow banking system » (système de financement non-bancaire de l'économie à haut risque, « les banques de l’ombre ») , qui a approfondi la crise de 2008. Selon le Conseil de Stabilité Financière, il pèse 85 500 Mds$ ! Du jamais vu …

 

- Les banques des CDO (collateralized debt obligations), produits financiers fondés sur une dette (les dettes étant des produits financiers) rapportant des commissions considérables (prime de risque !) valorisées avant la crise à 166.000 Mds $ !

 

- Les dérivés de gré à gré (hors cotation). Ils se sont développés de manière exponentielle. Leurs supports : devises étrangères, taux d’intérêts, titres de dettes privées et publiques, hypothèques… un véritable casino dont les potentialités semblent illimitées.

 

VMaintenir les profits des 1% les plus riches ?

 

Notre Léviathan financier insatiable, se goinfre tellement que la BCE (Banque Centrale Européenne), pour colmater les brèches créées dans l’économie réelle, tente de  boucher les trous en injectant 60Mds  d’euros mensuels dans la zone Euro. Mais attention, les financiers restent entre eux, et ces 60Mds ne vont pas aux investissements via les Etats mais aux banques privées avec l’espoir ô combien illusoire qu’elles s’intéressent à l’économie réelle bien qu’elle rapporte moins que leur casino ! Ainsi le veut l’article 123 du Traité de Lisbonne, autre nom du TCE que les Français ont pourtant rejeté en 2005 ! Habile tour de passe-passe anti démocratique et véritable coup de force de la dictature financière.

 

C’est aux 99% restant, c’est à dire essentiellement aux classes moyennes et populaires que revient la mission de supporter l’austérité : réduction des APL pour les familles modestes, augmentation de la CSG pour les retraités, réduction du montant des retraites, augmentation des taxes sur les carburants et l’imagination ne manquant pas on peut prévoir bien d’autres mesures à venir… Ce n’est plus le ruissellement dont les gouttes qui débordent des plus riches viennent arroser le bas, c’est un geyser, ceux d’en bas arrosant à profusion les couches supérieures.

 

VI - Des peuples résistent

  

La planète finance - que ni les financiers ni leurs complices politiques censés représenter le peuple n’ont souhaité réguler - a perdu la boussole. Alors que ce mois de Septembre 2018 fut l’anniversaire des 10 ans de la faillite de Lehman Brothers, de nombreuses voix s’élèvent pour annoncer l’imminence d’une nouvelle crise plus grave encore et dont l’UE pourrait être la plus grande victime.

 

Les citoyens subissent, pour l’instant sans beaucoup réagir, une austérité destinée à perpétuer l’anarchie spéculative. La situation est désespérante et le restera aussi longtemps que le peuple ne se révoltera pas contre les prédateurs et que la colère froide qui l’anime ne se mette à bouillonner.

Déjà de nombreux peuples ont montré l’exemple de résistance active et efficace.

 

Ainsi en Islande, les responsables politiques islandais ont prétendu utiliser l’argent publique pour rembourser les dettes des banques privées, les citoyens se sont révoltés. Le gouvernement a été contraint après avoir emprisonné les banquiers prédateurs de reprendre en main la gestion de la monnaie et donc de l’économie du pays. L’Islande a ainsi vu se régénérer la démocratie et renaître son économie.

 

De même en Suisse, des citoyens opposés à leur gouvernement et à leur parlement ont obtenu un referendum en 2018 pour retirer la création monétaire aux banques privées et la réserver à la Banque centrale, et même si ce referendum n’a pas abouti, ses initiateurs se félicitent d’avoir lancé le débat et franchi ainsi un premier pas. De tels mouvements s’organisent dans d’autres pays.

 

Et n’oublions pas la France et la réaction des citoyens lors du referendum sur le TCE en 2005. Ce traité qui met l’UE au service des financiers était, au départ, crédité de 60% de OUI, à cause de sa présentation par l’establishment politique et les media. Mais l’éducation populaire faite par diverses associations a fait basculer le vote sur le NON à 55%. Ce que nos oligarchies politiques n’avaient pas prévu. Décision du peuple inadmissible, elles ont contre-attaqué via le Congrès réuni à Versailles en 2008 qui l’a adopté sous l’appellation de Traité de Lisbonne grâce à l'abstention de la majorité des députés du Parti Socialiste.

 

VII- Des outils programmatiques pour résister

 

Nous ne sommes pas condamnés à subir cette dictature de la finance pour l'éternité ! Un gouvernement élu sur la base d'une rupture avec le néolibéralisme pour relancer l'économie et décidé à mener de réelles politiques d'émancipation, peut réussir s'il met œuvre certaines mesures de protection de l'économie nationale et certaines réformes radicales, que l'on peut résumer ainsi :

- contrôler des capitaux

- annoncer un moratoire sur le paiement de la dette : seule la partie jugée légitime de la dette (celle qui n'est pas issue du renflouement des banques suite à la crise de 2008) serait remboursée aux conditions fixées par le gouvernement, ce qui entraîne une inversion des rapports de force avec les créanciers

- changer le statut de la Banque de France afin qu'elle puisse accorder des prêts à taux faibles ou nuls

- recourir à l'épargne des particuliers par l'émission d'obligations non négociables

- rendre obligatoire l'achat d'une fraction de la dette d'Etat par les banques et les compagnies d'assurances

- réformer le système fiscal (amélioration de la progressivité de l'impôt sur le revenu, élimination des niches fiscales, rétablissement et renforcement de l'ISF)

- nationaliser des banques tout en démocratisant leur mode de gestion en y associant les usagers et les salariés

- assortir le retour au franc d'un contrôle politique des taux de change

- prendre des mesures protectionnistes, en vue notamment de réindustrialiser le pays

 

Toutes ces mesures ne sont pas réalisables dans le cadre de l'euro et de l'Union européenne conçus par les financiers pour imposer aux Nations européennes leurs intérêts.

 

On pourra, sur ce sujet, utilement se référer à l'article intitulé « Face aux marchés, scénario d'un bras de fer » paru dans le numéro d'octobre 2018 du Monde Diplomatique.

 

 Ainsi on peut encore espérer une inversion d’orientation économique. Mais il faut pour cela que nos concitoyens soient informés du système d’appauvrissement de leur économie qu’ils subissent. N’attendons rien des média dominants dont les propriétaires sont les grands bénéficiaires de cette spoliation.

 

Pour que cette richesse volée revienne de plein droit à ceux qui la produisent, pour qu'elle "ruisselle" naturellement vers le peuple, il faut de toute urgence rejoindre une vaste coalition anti-libérale qui certes tarde à se construire mais dont le MS21 entend être une composante active.

 

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