LE REVENU UNIVERSEL : UN PROGRÈS SOCIAL OU UN LEURRE ?
Ce sujet complexe mérite une étude approfondie, nous envisageons d'enrichir notre réflexion dans les semaines à venir avec d'autres textes, en particulier sur le travail.
Alors que 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté avec moins de 1000 € par mois, comment envisager d’éradiquer la précarité et la pauvreté qui frappent tant de nos concitoyens ? Les propositions sont nombreuses : revaloriser les minima sociaux, améliorer les conditions de travail (contrats, qualification), construire un statut protecteur pour les travailleurs par une sécurité sociale intégrale (droit opposable à l’emploi,..), envisager un salaire à vie sur la base de la qualification professionnelle, octroyer à chacun un revenu minimum d’existence. Le débat a été lancé notamment à l’occasion des primaires de la « Belle alliance populaire ».
Manuel Valls : « le revenu universel n’a pas de sens. Je veux défendre la société du travail. Si l’on coupe le lien avec le travail, on change la pensée philosophique de la gauche. Ta (Benoit Hamon) proposition n’est pas tenable 300 milliards d’euros, ça va se traduire par des hausses d’impôts et la ruine de notre budget ».
Benoît Hamon : « Avec la révolution numérique, il va falloir penser le partage du travail et intégrer le fait que nous aurons des carrières hachées. Ce revenu universel vise à donner l’autonomie que nous n’avons pas aujourd’hui. Les 45 milliards d’euros du premier volet du revenu universel qui ne concerne que les 18-25 ans, est l’équivalent du CICE et du pacte de responsabilité qui ont coûté 40 milliards ».
Le revenu universel (ou revenu de base, ou revenu minimum d’existence, ou impôt négatif) a fait son entrée dans le débat électoral. Il a cette particularité d’être défendu et réfuté autant dans le camp des libéraux que dans celui des progressistes, ce qui contribue à créer une confusion certaine pour se faire une opinion. Le MS21 tente d’y voir un peu plus clair, en définissant ce qu’est le revenu universel et ses caractéristiques, et ce qu’il n’est pas pour éviter d’augmenter encore plus la confusion dans le débat.
1- Ce qu’il est.
Selon le Mouvement Français pour un revenu de base (MFRB) « Le revenu de base (ou revenu universel) est un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur la base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement ». Un tel revenu présente plusieurs caractéristiques, il est universel (tous les membres de la communauté nationale y ont droit), inconditionnel (pas de contrepartie), individuel, permanent (les enfants y ont droit), inaliénable et cumulable (aux autres revenus). Par contre, son montant n’est pas fixé, ni défini par rapport au revenu médian, au seuil de pauvreté, ….
2-Ce qu’il n’est pas.
Le revenu de base n’est ni un droit opposable à l’emploi, ni un salaire à vie, ni la gratuité des besoins fondamentaux. Le droit opposable à l’emploi est une proposition qui vise à obliger l’État à fournir un emploi à toute personne qui le sollicite. Concrètement l’État reprendrait les 10% du PIB qui ont été transférés du travail au capital depuis le virage néolibéral des années 80 pour financer directement des créations d’emplois dans le secteur non-marchand. Ce concept, repris par le MPEP, est défendu par l’association ATD Quart-Monde et par le Parti de Gauche. Le salaire à vie est un concept défendu par Bernard Friot qui vise à émanciper le salarié de son aliénation au marché du travail. Le salaire à vie est lié à la qualification professionnelle (à l’image des fonctionnaires) et serait payé par des caisses de salaires indépendantes des entreprises. Ces caisses seraient alimentées par une cotisation salaire de la même manière que les 45% du salaire brut alimentent actuellement les cotisations vieillesse, santé, famille, emploi. Le salarié ne serait plus rémunéré par son employeur mais par la caisse, ce qui élimine le lien de subordination exercé par le patron sur son employé. La gratuité des besoins fondamentaux est un concept avancé et défendu notamment par Paul Ariès concernant l’usage (et non le mésusage) des services publics et des biens communs : « défendre et étendre la sphère de la gratuité, c’est donner à chacun et à chacune de quoi vivre de façon inconditionnelle mais avec un revenu largement démonétarisé, déséconomisé, c’est donc commencer à sortir du capitalisme. C’est se situer sur le terrain de l’émancipation sociale et non pas de l’accompagnement de la misère ». Cela existe concrètement à Cuba où les salaires sont très bas mais où les besoins fondamentaux sont pourvus gratuitement ou à des prix extrêmement bas. Ainsi, même les « pauvres » ne vivent pas dans la misère : personne ne dort dans la rue, tout le monde mange à sa faim, tous ont accès à la culture, à l’éducation, à la santé.
3-Les partisans du revenu universel.
Les plus fervents défenseurs se trouvent dans le camp des libéraux, notamment des économistes néo-libéraux. Friedrich Hayek y voit une assurance, une espèce de plancher en-dessous duquel personne ne doit tomber même s’il n’arrive pas à s’auto-suffire. Le versement d’un revenu universel ne perturbe pas le bon fonctionnement du marché du travail (au sens néolibéral), il peut se cumuler avec d’autres revenus salariaux et permettrait d’éradiquer la pauvreté. Dans cette même approche, Milton Friedman propose une autre version, l’impôt négatif : tout individu se voit octroyer un « crédit d’impôt » dont le montant correspond au minimum vital. Ceux dont le revenu est élevé contribuent ainsi à financer ceux dont le revenu est inférieur à ce minimum. Ce revenu universel viendrait remplacer tous les dispositifs d’aides et de protection sociale, offrant à tous la « liberté » de choisir l’assurance (privée) qu’il jugera la mieux adaptée à sa situation. On peut noter que le montant d’un tel revenu n’est pas défini et qu’il faciliterait considérablement les objectifs de « modération salariale » qui sont au cœur des revendications du MEDEF.
Le revenu universel trouve également des partisans dans le camp des progressistes. Le premier argument en sa faveur est son inconditionnalité, un droit humain indépendamment de ses mérites et de ses torts, un droit qui ne se négocie pas, un droit qui concourt à éradiquer là aussi la pauvreté. Le revenu universel permet également de se libérer du travail non choisi, favorisant aux dires de ses partisans l’amélioration des conditions de travail et de salaire. Pour ceux qui cherchent à créer leur propre activité, le revenu universel constitue un filet de sécurité. Autre argument avancé, la simplicité de la démarche qui permet d’éliminer les écueils pour bénéficier des prestations sociales actuelles. Il n’en demeure pas moins que le montant d’un tel revenu n’est pas fixé sur l’échelle des revenus.
4-Les opposants du revenu universel.
Pour les libéraux opposés à cette mesure, le revenu universel représente une attaque contre la dignité et l’autonomie humaines, dans le sens où il confère le droit de vivre sur le dos d’autrui. Une telle mesure crée l’illusion que l’être humain peut vivre aux dépens des efforts des autres. Pour le courant progressiste, dans un entretien paru dans l’Humanité (http://www.humanite.fr/faut-il-creer-un-revenu-universel-597450), l’économiste Jean-Marie Harribey note que les partisans du revenu universel se placent dans l’hypothèse de la fin du travail et du plein emploi, ce qui est loin d’être démontré. Il rappelle que le travail, même s’il est aliénant sous sa forme salariée, est porteur de reconnaissance sociale. Mettre en œuvre une telle mesure libéraliserait un peu plus le marché de l’emploi et serait un effet d’aubaine pour les employeurs pour baisser les salaires. Cette conception du travail ne fait pas l’unanimité. Par exemple Hannah Arendt dans La Condition de l’homme moderne refuse de voir dans le travail le propre de l’humain, alors que pour les disciples de Marx, le travail reste un élément central dans l’existence humaine, c’est en cherchant à le maîtriser, et non à s’en échapper, que les individus peuvent se réaliser.
Dans cette perspective et de manière prémonitoire, Michel Foucault dans son cours du 7 mars 1979 au Collège de France, montre comment le revenu universel est un pilier du système néolibéral, en dissociant volontairement l’économie du social, en refusant tout débat entre la pauvreté « relative » et la pauvreté « absolue » et en renonçant à la politique du plein emploi. Michel Foucault cite Lionel Stoléru, ancien ministre de Valery Giscard d’Estaing « Pour les uns, l’aide sociale doit être motivée par les causes de la pauvreté …. pour les autres, et ce sont les tenants de l’impôt négatif, l’aide sociale ne doit être motivée que par les effets de la pauvreté : tout être humain a des besoins fondamentaux et la société doit l’aider à les couvrir, lorsqu’il n’y parvient pas lui-même ». Michel Foucault fait remarquer que « la pauvreté relative n’entre aucunement dans les objectifs d’une semblable politique sociale. Le seul problème, c’est la pauvreté « absolue », c’est à dire ce seuil au-dessous duquel on considère que les gens n’ont pas un revenu décent susceptible de leur assurer une consommation suffisante ». Il poursuit « cet impôt négatif… assure en quelque sorte une sécurité générale, mais par le bas, c’est à dire que dans tout le reste de la société on va laisser jouer, précisément, les mécanismes économiques du jeu, les mécanismes de la concurrence, les mécanismes de l’entreprise. Au-dessus du seuil chacun devra être pour lui-même ou pour sa famille, en quelque sorte une entreprise ». Il ajoute « vous avez la constitution d’une politique économique (celle de Valéry Giscard d‘Estaing et de Raymond Barre) qui n’est plus centrée sur le plein emploi. …. On laisse finalement aux gens la possibilité de travailler s’ils veulent ou s’ils ne veulent pas. On se donne surtout la possibilité de ne pas les faire travailler, si on n’a pas intérêt à les faire travailler. On leur garantit simplement la possibilité d’existence minimale à un certain seuil, et c’est ainsi que pourra fonctionner cette politique néolibérale ».
L’analyse de Michel Foucault conserve, près de 40 ans plus tard, toute sa pertinence. La mise en application de cette pensée politique inspirée en France par Valéry Giscard d’Estaing sera concrétisée par le RMI* de Michel Rocard pour lequel le revenu minimum sera mis en lumière et le volet d’insertion mis sous le boisseau. Le RSA* se place dans cette continuité (l’insertion en moins).
5- Position du MS21
Le revenu universel d’existence est le produit du système néolibéral qui ne prend en considération que les effets de la précarité et non ses causes. C’est le versant dit « social » de la même politique d’austérité appliquée aux peuples par le système néolibéral. Le revenu universel ne remet pas en cause le principe de base du capitalisme qui accorde aux propriétaires des moyens de production et de la monnaie le pouvoir de définir la valeur économique du travail des salariés. Or, ce pouvoir est constitutif d’une domination sociale qui ne cesse de s’amplifier dans les formes caricaturales du néo-libéralisme mondialisé. Le revenu universel, en accordant en fait une valeur économique au « non travail », cautionne l’oligarchie dans sa volonté de soumettre les travailleurs en créant artificiellement la catégorie des « chômeurs ». Le MS21 ne saurait adhérer à cette fausse avancée sociale portée par B. Hamon et invite les citoyens à concevoir un autre rapport au travail généralisant le “déjà-là” révolutionnaire, issu des acquis de 1945, que sont la fonction publique et la cotisation sociale.
RMI : Revenu Minimum d’Insertion
RSA : Revenu de Solidarité Active