Lendemains d'élection.....
Le chantage au vote utile, au front républicain, n’a pas fonctionné. L’injonction quotidienne des médias, du gouvernement, de la plupart des partis politiques de « voter Macron pour faire barrage à Le Pen » n’a pas rencontré l’écho attendu à l’issue du second tour de l’élection présidentielle : un électeur sur trois s’est abstenu d’aller voter ou a voté blanc ou nul. Emmanuel Macron a été élu avec 66% des voix et ceux qui demandaient le vote utile expliquent à présent que le résultat obtenu est une adhésion au candidat et à sa politique pro-européenne. En réalité, ramené au nombre des électeurs inscrits, le score d’Emmanuel Macron se réduit à 44% tandis que la somme des abstentionnistes, des votes blancs et nuls représente 34% du corps des inscrits. Un retour sur les résultats de cette élection s’impose pour en comprendre la signification et les enjeux qu’ils représentent pour le futur.
1- Vous avez dit « irresponsables » ?
Nombre de ceux qui ont choisi de ne pas s’exprimer le 7 Mai pourront sans doute se reconnaître dans le propos de Hannah Arendt « politiquement, la faiblesse de l’argument du moindre mal a toujours été que ceux qui choisissent le moindre mal oublient qu’ils ont choisi le mal ». Pourtant on leur a enjoint lourdement de se prononcer pour l’un ou l’autre des deux candidats parce qu’il était irresponsable que « les abstentionnistes laissent les autres faire le sale boulot ». Le mode d’injonction hystérique a été atteint par Marielle de Sarnez, responsable au MODEM, sur France culture le 3 mai : « … mais cette espèce de ni-ni de ces pseudo-intellectuels, mais ils ont la tête à l’envers ! Il faut leur remettre la tête à l’endroit. »
La cause était donc entendue, il fallait choisir. De Bernard Cazeneuve en passant par François Baroin, François Fillon, Benoît Hamon, Jean Christophe Cambadélis, Manuel Valls, Stéphane Le Foll, Cécile Duflot, Pierre Laurent, l’unanimité fut parfaite. Jean-Luc Mélenchon s’est refusé quant à lui à donner une consigne de vote laissant aux 440 000 militants de la France Insoumise le choix de décider en conscience conformément aux principes qui régissent le fonctionnement de ce mouvement.
A Nanterre des étudiants ont expliqué pourquoi ils s’abstiendraient ou voteraient blanc le 7 mai, justifiant leur position par la nature du programme d’Emmanuel Macron, tant au niveau social qu’écologique et culturel refusant ainsi de céder au chantage médiatique, ne se sentant pas du tout concernés par le discours moralisateur contre le FN.
L’essayiste Régis Debray s’est livré à un réquisitoire contre Emmanuel Macron avec une ironie qui fait mouche « mais où a-t-il obtenu son meilleur score au premier tour avec une majorité absolue ? Chez les Français de New-York et de la City, patriotes un peu étranges, disons évasifs ». Pour Michel Onfray Emmanuel Macron « est fabriqué », pour Frédéric Lordon « Macron s’annonce comme l’accélérateur de tous les processus. Fabriqué par l’oligarchie comme réponse à la crise, il est le meilleur agent de l’approfondissement de la crise ». Pour Jacques Rancière « la vraie question est celle du choix lui-même : nous assistons à une élection de la dépossession » et pour souligner le propos il ajoute « Sortons de ce délire ! Demain nous appellera-t-on à voter pour Marine Le Pen car elle est moins pire que sa nièce ? » Emmanuel Todd prend position pour l’abstention « dans la joie » et Monique Pinçon Charlot, sociologue de la bourgeoisie conclut « c’est une guerre de classes des plus riches contre les peuples. Je ne voterai ni pour Macron, ni pour Le Pen ».
La tribune probablement la plus claire a été écrite par Henri Peña Ruiz, Jean-Paul Scott et Bernard Streiff, publiée dans Le Monde le 27 avril, intitulée « Insoumis pour être lucides, osons penser librement » et dans laquelle il est rappelé que les 30 années de trahison au nom de la concurrence libre et non faussée ont conduit à un système « qui produit de la richesse en créant la misère » selon l’expression de Victor Hugo. Au lieu de vouer aux gémonies Jean-Luc Mélenchon (« si vous ne votez pas Macron, vous voilà complices du fascisme »), ils soulignent l’admirable travail d’éducation populaire réalisé par la France insoumise.
Mais les intellectuels ne furent pas les seuls à refuser ce piège du soi-disant vote utile qui pointe le symptôme (la montée du Front national) en refusant d’en combattre la cause (une politique capitaliste ultra-libérale ). A l’exception de la CFDT appelant à voter Emmanuel Macron, FO s’est refusé à donner la moindre consigne de vote et la CGT a adopté la même position que la France insoumise.
2- Le FN pouvait-il arriver au pouvoir ?
Le vote FN n’a cessé de progressé depuis 15 ans, atteignant 6,8 millions de voix aux élections régionales de 2015, 7,6 millions de voix au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 et 10,6 millions de voix au second tour. Marine Le Pen pouvait-elle accéder à la magistrature suprême? Il est facile de constater qu’au second tour de l’élection 31,3 millions de voix se sont exprimées, imposant pour être élu de dépasser la barre des 15,65 millions de voix. Marine Le Pen devait donc plus que doubler son score du premier tour. En réalité sa progression a été de 3 millions de voix (en provenance de Nicolas Dupont-Aignan et d’une partie de la droite catholique conservatrice), soit +40% chiffre considérable mais insuffisant, ce qui confirme notre pronostic.
Voter Macron, c’est mettre du carburant dans la machine qui fait monter le FN. Si Marine Le Pen n’est pas Présidente en 2017, ne peut-on raisonnablement craindre son élection en 2022 avec la poursuite accélérée de la politique néolibérale de François Hollande selon les vœux mêmes du nouveau Président ?
Emmanuel Macron a été élu par 66% des suffrages exprimés (20,7 millions d’électeurs). Cela signifie sans aucun doute une large victoire sur Marine Le Pen. Ramené au nombre d’inscrits (47,4 millions d’électeurs), le vote Macron apparaît beaucoup plus modeste (44%) et le vote « non exprimés » significatif (34%). Si l’on ajoute à cela l’existence du « vote utile » destiné à faire barrage au FN, le vote d’adhésion au programme d’Emmanuel Macron ne représente plus que 11,9 millions d’électeurs, soit 25% des inscrits selon un sondage CEVIPOF.
Que conclure ? Le vote du second tour n’a entraîné aucune adhésion au programme d’Emmanuel Macron et a marqué dans les conditions présentes un rejet de l’appel au front républicain.