Retour de Chypre
L'île de Chypre, d'une superficie de 9250km2, la troisième en taille des îles méditerranéennes, est scindée en deux États:
- Au Sud, la "République chypriote" s'étend sur environ les deux tiers de l'île. Peuplée par les Chypriotes grecs, elle prétend continuer l'État fondé en 1960 suite à la guerre de libération nationale qui a rejeté la colonisation britannique et débouché sur la proclamation de l'indépendance de l'île.
-"La République turque de Chypre du Nord " occupe environ l'autre tiers. Proclamée de façon unilatérale en 1983, elle n'est toujours pas reconnue par la communauté internationale et a été depuis cette date assez dépendante de la Turquie. Mais, fait notable, les Chypriotes turcs se définissent comme musulmans non pratiquants, toujours tournés vers Ataturk et de fait on n'y croise aucune femme en burqa ni en voile, seulement quelques-unes d'un certain âge et plutôt avec un foulard. De plus, la Zyvania (raki chypriote) et les vins locaux y sont appréciés.
La population de l'île est d'environ 1 million 100 000 habitants mais il est bien difficile d'avoir une idée précise de sa répartition entre les deux communautés : 70 à 75% de Chypriotes grecs cela semble faire à peu près consensus, mais pour le Nord les choses sont différentes, 25 à 30% de Chypriotes turcs nous dit-on logiquement sur place, mais pour les habitants du Sud cela se réduit à seulement 10% ! De fait, il semble que de chaque côté on ne donne pas le même sens aux chiffres . Il est vrai que l'immigration est importante dans l'île (dont incontestablement des réfugiés politiques turcs opposants à Erdogan ) et au Nord, on qualifie de Chypriotes turcs tous ceux qui y vivent alors que les habitants du Sud semblent ne vouloir considérer que les Chypriotes turcs "de souche". Mais tous les immigrés sont-ils au Nord?
L'Union européenne (UE) ayant intégré la "Républlque chypriote" en 2004, la confusion s'est installée ; certains auteurs prétendant encore aujourd'hui que c'est la totalité de l'île qui fait partie de l'UE. Toutefois, sur le terrain, aucune confusion n'est possible.
En effet :
- Entre les deux Etats, "la ligne verte" occupée par les casques bleus de l'ONU s'étend d'Ouest en Est et coupe en deux la ville de Nicosie au centre, dont chaque partie demeure la capitale des États respectifs sous le nom de Lefkosia côté grec et Lefkosa côté turc. Ce n'est toutefois pas un mur qui, à Chypre, coupe la capitale en deux mais une zone d'habitation désaffectée où les immeubles inoccupés depuis 40 ans se dégradent fortement et qui, bien sûr, nous rappelle le tristement célèbre mur de Berlin ! Actuellement cette "ligne verte" peut être franchie en 7 points, moyennant un double contrôle turc et grec à chaque endroit, mais si l'opération est relativement facile pour les touristes il semble que ce soit encore bien différent pour les autochtones, beaucoup de familles étant ainsi écartelées entre les deux États.
- En ce qui concerne la monnaie: les Grecs, au Sud, ne connaissent que l'euro alors qu'au Nord la monnaie officielle est la livre turque, même si, grâce au développement récent du tourisme, on peut facilement y régler ses achats en euros.
- Dans le domaine des transports : la partie N. de Chypre (turque) possède un aéroport, Ercan, mais ne le cherchez pas à Roissy ni sans doute dans aucun autre aéroport international car cet aéroport n'étant pas reconnu par la communauté internationale, c'est à Antalya ou Istambul que vous vous rendez officiellement, où vous faites obligatoirement une halte en étant censé y prendre un vol local pour Ercan.... sans pourtant changer d'avion ! L'ile de Chypre ne possède officiellement que 3 points d'accès : les aéroports internationaux de Larnaca et Paphos ainsi que le port de Limassol, tous situés en zone grecque!
Comment en est-on arrivé là?
Jusqu'aux années 1950 Chypriotes grecs et turcs ont co-habité sur l'île et c'est même ensemble qu'ils ont résisté à la colonisation britannique et obtenu leur libération à la fin de la décennie. Pourtant, le conflit entre les deux communautés était déjà latent. En effet, dès cette date, les Chypriotes grecs visaient à rattacher l'île à la Grèce alors que les Chypriotes turcs réclamaient l'indépendance de l'île et un gouvernement confédéral. C'est finalement l'ONU qui, en 1960, a proclamé l'indépendance et la création de la "République chypriote", portant Mgr Makarios à la présidence et le Turc Fazil Kuçuk à la vice-présidence. Cette situation, qui se voulait équilibrée, fut cependant mal acceptée pas les Chypriotes turcs qui, minoritaires, se sentirent menacés et de fait, l'attitude ambiguë de Makarios déboucha sur de violents conflits en 1963 qui amenèrent l'ONU à déployer dans l'île une force d'intervention qui, depuis, n'est jamais repartie. Cette présence de l'ONU n'a néanmoins pas découragé la junte des colonels grecs, en 1974, de tenter de renverser le gouvernement Makarios, ce qui a immédiatement provoqué l'invasion de l'île par la Turquie et c'est depuis cette date que Chypre est divisée en deux secteurs sous l'égide des Nations Unies. Bien que la partie Nord, las des négociations vaines, se soit érigée en République indépendante en 1983 après s'être dotée d'une constitution, les Secrétaires Généraux successifs de l'ONU ont œuvré à la réunification de l'île et Kofi Annan en particulier y a organisé un référendum sur la question en 2004, référendum décevant car, si les Chypriotes turcs ont voté à 65% pour la réunification, les Chypriotes grecs l'ont refusée à 76%. Malgré l'intégration de la partie Sud à l'UE à cette date, les discussions continuent néanmoins entre les deux États et de timides ouvertures se réalisent progressivement : 7 points de passage de la "ligne verte" au lieu de 3 initialement, facilités de circulation pour les familles établies des deux côtés, coopération des deux États pour permettre aux touristes de visiter les deux parties... Mais le fait que les Chypriotes turcs semblent mettre leurs espoirs dans la réunification, ce qui signifie surtout pour eux l'intégration à l'UE, n'est pas l'aspect le moins déroutant de cette île.
Quelle vie des 2 côtés?
Chypre ne manque pas d'atouts :
- Son relief, montagneux, mais pas trop (point culminant à moins de 2000m), comporte aussi de vastes vallées et bas plateaux favorables, de tout temps, à l'agriculture.
- Sa situation au Sud-Est de la Méditerranée en fait un véritable pont entre Occident, Moyen-Orient et Afrique.
- Son climat méditerranéen très prononcé, sa flore et ses plages constituent un véritable aimant pour l'Europe, surtout nordique.
- Sa richesse archéologique, historique et culturelle est par ailleurs remarquable, Chypre ayant connu toutes les civilisations qui se sont succédées autour du bassin de la Méditerranée depuis la période néolithique. L'enchevêtrement des civilisations y est d'ailleurs notable (églises orthodoxes ou gothiques transformées en mosquées en particulier). A noter aussi que l'île fut pendant trois siècles, depuis l'époque des Croisades, aux mains des Français et qu'il en reste quelques vestiges.
Après avoir été l'île du cuivre, Chypre, malgré sa situation mouvementée se spécialise maintenant dans le tourisme et ceci 10 mois sur 12 ! ( 25° en continu à la mi-novembre). Même le Nord, longtemps affaibli par l'embargo qui l'a frappé depuis 1983 se lance à nouveau dans l'aventure depuis quelques années avec, semble t-il, beaucoup de succès et les différences entre parties N et S ne sont pas criantes. Bien sûr, à Nicosie, Ledra Street , coupée en deux par la "ligne verte" est beaucoup plus "riche" plus "moderne" côté S ( il y a même un MacDo ! ) que côté N, plus authentique, mais les centres historiques sont aussi bien restaurés et les quartiers récents ainsi que les régions côtières sont en plein développement des deux côtés.
Cependant, malgré les discussions qui continuent entre les deux États, la confiance ne semble pas régner entre les communautés ( c'est le moins qu'on puisse dire) et il est assez souvent bien difficile de faire la part des choses dans les renseignements glanés de part et d'autre. Le plus marquant à ce sujet porte sur le pourcentage respectif des deux communautés et la conclusion qu'en tirent les Chypriotes grecs qui ne qualifient la partie Nord que de " zone occupée" !
Il semble bien qu'Aphrodite, traditionnellement la déesse de l'île, ait abandonné la partie et que Chypre aura du mal à justifier à nouveau son appellation d'origine antique d' « île de l'Amour » !