L'«islamo-gauchisme » ou l'étrange complaisance d'une fraction de la gauche radicale envers l'islamisme

Publié le par MS21

L'«islamo-gauchisme » ou l'étrange complaisance d'une fraction de la gauche radicale envers l'islamisme

3ème partie (suite et fin)

Les liaisons dangereuses

 

La proximité revendiquée par certaines mouvances de la gauche radicale avec l'idéologie décoloniale n'est pas qu'un fantasme d'éditorialiste néo-réactionaire comme le prouvent les quelques exemples présentés ci-dessous.

Danièle Obono, députée de la France Insoumise, précise à propose du PIR : «Je les considère comme des camarades car je les ai rencontrés au sein de ce mouvement. On a des combats communs même si on n’est pas d’accord et qu’on a plein de débats(9). »

Le parti de Clémentine Autain « Ensemble » a apporté son soutien au 4e forum contre l'islamophobie organisé en 2017 qui affirme : « Si le FN réalise un score de 33,9%, il est en crise. Pour l’instant. Et d’autres se chargent de faire prospérer son fonds de commerce. Les réseaux racistes et islamophobes, qui œuvraient au cœur de l’État avec Valls, se reconstituent. Depuis la rentrée, ils œuvrent tous azimuts avec une violence redoublée : pressions sur l’université pour censurer les colloques sur ces questions, cyber-harcèlement contre des associations de féministes musulmanes comme Lallab, campagnes de dénigrement et de diffamation ciblées qui tournent à la chasse à l’homme ou à la femme contre ceux qui luttent contre le racisme et l’islamophobie. Printemps républicain, bande à Valls, Comité laïcité et République, UFAL, Causeur, Le Figaro, Marianne, Valeurs actuelles, « fachosphère » : les campagnes coordonnées de ces réseaux hétéroclites ont un objectif, intimider pour réduire au silence les voix qui s’élèvent contre le racisme anti-musulman(10). »

Clémentine Autain s'est particulièrement illustrée par ses expressions de déni. Pour elle le féminisme et la lutte contre les fondamentalismes ne peuvent être que subordonnées à l'antiracisme. Ainsi, en 2016, suite aux agressions sexuelles commises à Cologne, en partie par des migrants, elle tweete : « Entre avril et septembre 1945, deux millions d’Allemandes violées par des soldats. La faute à l’Islam ? » sans un mot de dénonciation des agressions. En 2013, elle avait déjà fait preuve d'une grande clairvoyance en déclarant face à Elisabeth Levy qu'il n'y avait pas en France « une menace pour notre république de terrorisme islamique [sic] ou d'intégrisme islamique(11) »...

Le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) définit la loi du 15 mars 2004 prohibant les signes religieux ostentatoires à l'école de loi « liberticide et raciste » et demande son abrogation. Il considère que le racisme « est une composante centrale de la situation politique en France et ne pourra être contourné ou remplacé par des luttes sur le terrain économique (pour les salaires et l’emploi, contre la loi Travail, etc.)(12) ». Encore une fois, la lutte antiraciste, lutte légitime, prend le pas sur la lutte des classes.

Le NPA va jusqu'à enrôler post-mortem le camarade Lénine dans sa croisade contre l'islamophobie ! Dans un article intitulé « Lénine, un précurseur de l’« islamo-gauchisme » ?(13) » le NPA se réfère à l'appel lancé par Lénine aux musulmans de Russie en 1917 à rallier le gouvernement révolutionnaire bolchevique.

Pourquoi tant d'aveuglement ? Cela tient probablement d'abord à une vision erronée de ce que doivent être les alliances politiques contre l'impérialisme américain. Le sociologue Gaël Brustier note : « L’islam exerce depuis longtemps une véritable fascination au sein des mouvements marxistes, d’extrême gauche ou anticolonialistes. Pendant la guerre d’Algérie, l’avocat de la militante Djamila Bouhired, Jacques Vergès, déjà vieux routier des combats anticolonialistes, se convertit à l’islam lorsqu'il se rapproche du Front de libération nationale. Un peu plus tard, aux confins de l’extrême gauche, le terroriste vénézuélien Illitch Ramirez Sanchez –Carlos– embrassa lui aussi l’islam.(14) » Il est pertinent de se rappeler aussi la fascination qu'a exercée la révolution islamique menée par Khomeny en Iran, à ses débuts, sur certains intellectuels de gauche.

Cette stratégie d'alliance avec des mouvements islamistes au nom de l'anti-impérialisme a été théorisée en particulier par Chris Harman dirigeant trotskiste du «Socialist Workers Party» (SWP) en 1994 dans un article intitulé « The prophet and the proletariat » : « Les islamistes ne sont pas nos alliés. Ils sont des représentants d’une classe qui tente d’influencer la classe ouvrière et qui, lorsqu’elle y parvient, attire des travailleurs soit vers un aventurisme futile et désastreux, soit vers une capitulation réactionnaire devant le système ou, comme souvent, à l’un puis à l’autre.
Mais ce n’est pas à dire que nous pouvons pour autant prendre une position abstentionniste indifférente à l’égard des islamistes. Ils naissent de groupes sociaux très nombreux qui souffrent dans la société actuelle. Leurs sentiments de révolte pourraient être canalisés vers des objectifs progressistes, si une direction leur était offerte par une montée de luttes ouvrières. Même lorsque le niveau de luttes ne s’élève pas, beaucoup de ceux qui sont attirés par des versions radicales de l’islamisme peuvent être influencés par les socialistes - à condition que ceux-ci combinent une indépendance politique à l’égard de toutes les formes de l’islamisme, avec la volonté de saisir les opportunités pour entraîner à leurs côtés des individus islamistes dans des formes de lutte authentiquement radicales 
(15)»

Harman semble faire preuve de plus de lucidité que nos « islamo-gauchistes » actuels sur la nature réactionnaire de l'ideologie islamiste. Il mise sur une évolution possible de leur colère vers des luttes progressistes.

Mais, les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis...

Il y a aussi, malheureusement, dans ces dérives une forme de clientélisme politique. Certains militants politiques considèrent qu'en flattant les revendications particulières (réelles ou supposées) d'une communauté religieuse ou ethnique, ils vont s'attacher leur fidélité électorale. Cela se traduit par exemple, par des financements publics d'associations religieuses ou communautaristes telles que les crèches dépendantes du mouvement juif loubavitch par la Mairie de Paris. Il y a aussi parfois une volonté de valoriser l'appartenance religieuse dans des combats politiques. L'on se souvient ainsi de la candidate du NPA aux élections régionales de l'année 2010 portant le voile islamique, Ilham Moussaïd (qui a fini par quitter le NPA).

Fort heureusement, de nombreux militants et responsables politiques, tels que Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière à la France Insoumise, restent fermes sur leurs convictions laïques. A ce sujet, l'on pourra consulter utilement un texte écrit par Lutte Ouvrière intitulé « Le piège de la « lutte contre l’islamophobie »(16) ».

Pour nous, au MS21, notre position est claire : aucune considération stratégique ou idéologique ne peut justifier un rapprochement avec la mouvance décoloniale.

 

De la nécessité absolue de lier combat laïque et combat social

 

Il y a deux raisons principales à la ferme réprobation du MS21 de toute compromission entre la gauche et les mouvements d'inspiration communautariste.

La première est liée à notre conception de l'éthique politique : il n'est pas concevable pour un mouvement authentiquement progressiste de s'allier avec des organisations politiques faisant la promotion d'idées racialistes, sexistes, antisémites.

La deuxième raison est en lien avec notre analyse politique des stratégies menées par les classes dirigeantes pour asseoir la domination du système capitaliste. Comme nous l'écrivions dans notre texte « Vous avez dit communautarisme ? » : « L'ordre politique et économique dominant, l'ultra-libéralisme non seulement s'accommode fort bien des idéologies communautaristes réactionnaires, mais il les instrumentalise volontiers. Pourquoi faut-il mettre en regard ces deux formes de régression, celle d’ordre religieux du communautarisme intégriste et celle d’ordre politique de l’ultra-libéralisme? Pour une raison simple, invariante et structurante et qu’il faut toujours garder à l’esprit dans le combat politique : il y a une convergence d’intérêts entre les forces néo-libérales (de droite ou de gauche) et les forces communautaristes et intégristes. D’une part la marchandisation des biens publics et  la recherche de profits ne peut se faire qu’en sous-traitant aux organisations religieuses la charité en lieu et place d’une réelle protection sociale, solidaire et universelle. D’autre part les tensions communautaires divisent le corps social qui, occupé dans des revendications concurrentes victimaires, perd de vue la nature exacte de l’oppression dont il est l’objet : « diviser pour mieux régner ».

Laissons le mot de la fin à celui qui a saisi avec le plus d'acuité la nécessité politique de conjuguer combat laïque et combat social, Jean Jaurès : « Laïcité de l’enseignement, progrès social, ce sont deux formules indivisibles. Nous lutterons pour les deux(17) »« Comment voulez-vous qu’à l’émancipation politique ne vienne pas s’ajouter pour les travailleurs l’émancipation sociale quand vous avez préparé vous-mêmes leur émancipation intellectuelle ? (18)»


 

(17) - discours « Pour la laïque » du 25 janvier 1910

(18) - discours à la Chambre des députés, le 21 novembre 1893

Publié dans société

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