L'«islamo-gauchisme » ou l'étrange complaisance d'une fraction de la gauche radicale envers l'islamisme
L'idéologie "décoloniale" ou la politique du PIR
2ème partie
La mouvance décoloniale, composée principalement du PIR, du CCIF et de multiples autres petits collectifs compte peu d'adhérents mais exerce une influence médiatique non négligeable.
Elle est née d'une critique des impasses de l'antiracisme traditionnel issu de l'échec de la « marche des beurs » de 1983, et de sa récupération politique (en fait sa dépolitisation) par le PS et SOS Racisme. Elle dénonce de façon radicale le modèle républicain, accusé d'être incapable de réduire les inégalités et de promouvoir réellement le bien commun. En réponse à cela, les décoloniaux proposent une réaffirmation de l'identité culturelle et religieuse des Français issus de l'immigration et valorisent une organisation de la société sur le mode communautariste anglo-saxon. Ainsi, après l'affaire de l'exclusion d'une collégienne voilée du lycée de Creil en 1989, le camp antiraciste se divise. Les décoloniaux dénoncent dans cette affaire une illustration parfaite de ce qu'ils nomment un racisme d'Etat organisé, et l'un de leur principal cheval de bataille deviendra la lutte pour l'abrogation de la loi de 2004 proscrivant le port de signes religieux ostentatoires à l'école publique.
De façon plus systématique, la mouvance décoloniale analyse les rapports de domination en termes de prolongation de la domination coloniale. Le PIR s'inspire, pour ce faire, du concept de "colonialité" (différent de colonialisme) inventé par un sociologue portoricain, Ramon Grosfoguel, il s'agit d '« une structure permanente, trans-historique. Celle-ci affecte toutes les dimensions de l’expérience humaine, individuelle et collective, acquiert d’emblée une dimension planétaire et, surtout, perdure et se renforce après la fin des empires coloniaux. « L’Occident » en tant que civilisation et système de domination maintient son emprise sur les anciennes colonies (..) À l’intérieur des pays occidentaux, la colonialité s’exprime par l’infériorisation des populations des anciennes colonies ou des descendants d’esclaves : Noirs aux États-Unis, Maghrébins et Africains en France, etc. Il ne s’agirait donc en rien d’un dysfonctionnement ou d’un inaboutissement des idéaux démocratiques et égalitaires – car ceux-ci ne sont en définitive que l’ultime supercherie destinée à rendre acceptable la domination occidentale –, mais bien d’un système global qui ne peut être dénoncé que dans son ensemble(5) »
L'appel des indigènes de la République lancé en 2005 précise bien, en effet, que « La France reste un Etat colonial(...)Le traitement des populations issues de la colonisation prolonge, sans s’y réduire, la politique coloniale. Non seulement le principe de l’égalité devant la loi n’est pas respecté mais la loi elle-même n’est pas toujours égale (double peine, application du statut personnel aux femmes d’origine maghrébine, subsaharienne…). La figure de l’« indigène » continue à hanter l’action politique, administrative et judiciaire ; elle innerve et s’imbrique à d’autres logiques d’oppression, de discrimination et d’exploitation sociales(...)La République de l’Egalité est un mythe. L’Etat et la société doivent opérer un retour critique radical sur leur passé-présent colonial. Il est temps que la France interroge ses Lumières, que l’universalisme égalitaire, affirmé pendant la Révolution Française, refoule ce nationalisme arc-bouté au « chauvinisme de l’universel », censé « civiliser » sauvages et sauvageons. Il est urgent de promouvoir des mesures radicales de justice et d’égalité qui mettent un terme aux discriminations racistes dans l’accès au travail, au logement, à la culture et à la citoyenneté. Il faut en finir avec les institutions qui ramènent les populations issues de la colonisation à un statut de sous-humanité.. (6)»
Il est manifeste qu'il y a ici un glissement de la dénonciation légitime d'un système de domination économique postcolonial, à une mise en cause de ce qui serait, selon le PIR, la domination d'une civilisation sur d'autres, la civilisation produisant le système économique et non l'inverse. La lutte des races va pouvoir se substituer à la lutte des classes...
Le concept de race dans l'idéologie décoloniale n'est certes pas un concept biologique comme le précise Houria Bouteldja, présidente du PIR : « La race est un rapport social comme le genre, comme la classe. Il est fondé sur de supposées catégories raciales, ethniques et religieuses qui sont issues de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation (...) C’est la France qui est raciale. Nous voulons assumer le stigmate pour le dépasser. Personne n’échappe à la racialisation, blancs ou indigènes. Mais les uns sont dominants et les autres dominés(7)». Pour autant, le concept de « suprématie blanche » évoque fortement la couleur de la peau et est éminemment contestable : les classes dominantes sont loin d'être toutes occidentales et blanches dans le monde...
Dans son livre le plus récent, « Les Blancs, les Juifs et nous » (La Fabrique Edition), Houria Bouteldja enfonce le clou : « Je suis dans la strate la plus basse des profiteurs. Au-dessus de moi, il y a les profiteurs blancs. Le peuple blanc, propriétaire de la France : prolétaires, fonctionnaires, classes moyennes. Mes oppresseurs. Ils sont les petits actionnaires de la vaste entreprise de spoliation du monde »
Les décoloniaux et leurs alliés qui se disent grands admirateurs de Frantz Fanon feraient pourtant bien de le relire. Voici ce qu'il écrit dans « Peau noire, masques blancs » : « Je suis un homme, et c’est tout le passé du monde que j’ai à reprendre. En aucune façon je ne dois tirer du passé des peuples de couleur ma vocation originelle. Ce n’est pas le monde noir qui me dicte ma conduite. Ma peau noire n’est pas dépositaire de valeurs spécifiques (…).Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de ma race. Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de me préoccuper des moyens qui me permettraient de piétiner la fierté de l’ancien maître. Je n’ai pas le droit ni le devoir d’exiger réparation pour mes ancêtres domestiqués. Il n’y a pas de mission nègre ; il n’y a pas de fardeau blanc »
Face à ces oppresseurs « blancs » l'argumentation des « indigènes » utilise le plus souvent une valorisation inconditionnelle de l'islam, camouflée habilement en dénonciation de l'islamophobie. Mais que faut-il entendre exactement par islamophobie ? Ce terme pourrait trouver sa légitimité dans son équivalence avec « racisme anti-musulman », un racisme qu'il faut dénoncer comme toutes les formes de racisme, bien sûr. Le problème réside dans le fait que les décoloniaux abusent de la confusion entre racisme anti-musulman et critique de la religion musulmane pour condamner toute critique de celle-ci. En France, les croyants, comme tout citoyen, sont protégés par la loi contre toute attaque visant leur intégrité physique ou morale. En revanche, il est inconcevable dans un régime démocratique, de protéger une croyance ou une idéologie en interdisant, ou simplement en limitant sa critique. Sinon, les militants de gauche devraient s'interdire aussi de critiquer le libéralisme, sous le prétexte de heurter gravement la sensibilité de nombreux "médiacrâtes" et oligarques dans ce pays...
Pourtant dans un appel lancé sur Médiapart « Contre l'offensive islamophobe, un front large et massif », des militants de gauche (dont Danièle Obono) entretiennent cette confusion dangereuse entre loi laïque émancipatrice et discriminations (réelles) dont sont victimes les personnes issues de l'immigration (assimilées globalement aux musulmans): « Alors que la France a été condamnée par le comité des droits de l'homme de l'ONU pour sa loi du 15 mars 2004 contre les signes religieux à l'école, les offensives contre les musulman-e-s, français-e-s et étranger-e-s, vivant en France, se multiplient, alimentent un climat d'islamophobie et de racisme grandissant et renforcent des discriminations généralisées au point de faire système (contrôles policiers, emplois, logements, éducation...) contre un nombre grandissant d'habitants de ce pays, l'Etat étant en première ligne(8). »
Pour se donner une crédibilité scientifique l'idéologie décoloniale se réfère fréquemment au concept d'intersectionnalité. Cette approche sociologique, théorisée par la féministe et juriste afro-américaine, Kimberlé Williams Crenshaw à la fin des années 80 estime que la compréhension des mécanismes de domination et de discrimination (racisme, sexisme, homophobie...) ne peut pas être complète si elle n'intègre pas les interactions se créant entre ceux-ci. Cette démarche intellectuelle s'avère féconde dans la mesure où elle peut nous rendre sensible à la nécessité de lutter contre toutes les discriminations sociales ou économiques sans privilégier certaines, dans une perspective de compréhension globale du système de domination dans lequel nous vivons.
Mais, pour les décoloniaux, il y a là surtout un prétexte « scientifique » à hiérarchiser les discriminations. Ainsi, au nom de la priorité donnée à la lutte contre le racisme et l'islamophobie, les femmes noires ne devraient pas dénoncer des agressions sexuelles subies de la part d'hommes noirs. Le « féminisme blanc » des femmes issues des classes moyennes à visée universaliste se retrouve dévalorisé face au « féminisme » à connotation religieuse ou communautariste. Les oppressions existant au sein d'un même groupe humain se trouvent ainsi minimisées ou niées.
Enfin, en ce qui concerne la méthode, les mouvements décoloniaux ont une prédilection pour l'organisation d'ateliers, de groupes de travail ou de discussions non-mixtes, c'est-à-dire réservés à des personnes considérées comme appartenant à des groupes discriminés (femmes, noirs...). Cette pratique de non-mixité choisie se trouve justifiée par la nécessité d'une libre parole donnée à ceux qui ne peuvent pas l'avoir habituellement, du fait de la prédominance du discours des dominants dans l'espace public. Elle serait aussi nécessaire à l'autodétermination politique en toute liberté des groupes dominés. Il est fait référence notamment, au mouvement afro-américain des droits civiques (les Blacks Panthers n'admettaient aucun blanc en leur sein) et aux mouvements féministes des années 1970.
Si certains de ces arguments peuvent être entendus dans un cadre limité et temporaire, il convient de ne jamais perdre de vue la priorité à donner aux combats communs. Car il y a péril en la demeure républicaine, dans une conception des luttes où seules les femmes pourraient s'élever contre le sexisme, où seuls les « racisés » pourraient dénoncer le racisme. Dans des manifestations ouvertes à un public large, la présence des ateliers non-mixtes vient légitimer de façon dramatique et scandaleuse l'impossibilité de construire ensemble des politiques de transformation sociale.
En définitive, l'idéologie décoloniale n'est pas émancipatrice, elle substitue le combat culturel entre « blancs » et « indigènes » à la lutte des classes. Par ses obsessions identitaires, elle fait le lit de thématiques sexistes, homophobes, antisémites que l'on croyait réservées à l'extrême-droite. C'est encore Houria Bouteldja dans son livre « Les Blancs, les Juifs et nous » qui en parle le mieux en appelant à l'amour révolutionnaire... : « La critique radicale du patriarcat indigène est un luxe. Si un féminisme assumé devait voir le jour, il […] passera obligatoirement par une allégeance communautaire. »
« Mon corps ne m’appartient pas. Aucun magistère moral ne me fera endosser un mot d’ordre conçu par et pour des féministes blanches »
« On ne reconnaît pas un Juif parce ce qu’il se déclare Juif mais à sa soif de vouloir se fondre dans la blanchité, de plébisciter son oppresseur et de vouloir incarner les canons de la modernité. Comme nous. »
« J’appartiens à ma famille, mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’Islam. »
« Je vous le concède volontiers, vous n’avez pas choisi d’être blancs. Vous n’êtes pas coupables. Juste responsables. S’il y a un fardeau qui mérite d’être porté, c’est celui-là. La race blanche a été inventée pour les besoins de vos bourgeoisies en devenir car toute alliance entre les esclaves pas encore noirs et les prolos pas encore blancs devenait une menace pour elle »
En principe, ce florilège de pensées ultra-réactionnaires devrait faire fuir tout militant de gauche normalement constitué. Et pourtant...
A suivre .....
(5) - https://jean-jaures.org/nos-productions/radiographie-de-la-mouvance-decoloniale-entre-influence-culturelle-et-tentations
(8) - https://blogs.mediapart.fr/edition/les-batailles-de-legalite/article/200413/contre-loffensive-islamophobe-un-front-large-et-massif