Classes dominantes et protectionnisme
Classes dominantes et protectionnisme
Rappel historique
On sait que la base idéologique de la mondialisation actuelle est le « consensus de Washington » de 1989, inspiré des travaux de l’économiste M Friedman. Ses préconisations sont aussi bien connues : libéralisation (ouverture à la concurrence), puis privatisation de la finance, des investissements, des services et …du commerce extérieur. Mais ne croyons pas qu’il s’agisse d’une disposition naturelle de l’activité humaine et qu’il en a toujours été ainsi. La façon dont l’autorité politique a régi l’activité commerciale a été l’objet, dans l’Histoire, d’un rapport de force permanent, parfois guerrier, qui a évolué en fonction de l’intérêt des pays et de leurs classes dirigeantes.
La guerre de Sécession aux Etats –Unis (1861-1865) en est un exemple remarquable. Il faut être très crédule pour croire que les Etats du Nord sont devenus à cette époque subitement soucieux de la condition des esclaves. Il s’agissait en fait d’une guerre de nature économique et commerciale entre les protectionnistes du Nord et les libre-échangistes du Sud. Les premiers voulaient développer leur industrie encore fragile face à la suprématie anglaise de l’époque et les seconds voulaient continuer à produire et vendre leur coton bon marché grâce à la main d’œuvre très concurrentielle des esclaves. On sait qui gagna la guerre et dans les années qui suivirent les Etats-Unis fixèrent des droits de douane de 50% sur les importations de produits manufacturés. Leur industrie a donc pu prospérer à l’abri de protections douanières et un demi-siècle plus tard, en 1918 - constatant leur suprématie et souhaitant écouler leur production - ils se firent des ardents défenseurs du …libre-échange !!
Libre échange : mythe et réalité
L’élément structurant dans cette problématique c’est la puissance publique, l’Etat. Pour les tenants du libre-échange dont Frédéric Bastiat (1801-1850) est une figure emblématique « L’échange est un droit naturel, comme la propriété… Tout citoyen qui a créé ou acquis un produit doit avoir la faculté de le céder à quiconque sur la surface du globe…Le priver de cette faculté, c’est légitimer une spoliation, c’est blesser la loi de la justice… Faire intervenir l’Etat, c’est bien là du communisme … » On voit que l’épouvantail du communisme n’est pas récent ! Mais la réalité masquée par cette idéologie est très sombre. Derrière cet hymne à la liberté qui est surtout selon la formule de Marx « la liberté du capital », se cachent les incroyables souffrances de classes populaires soumises depuis plusieurs siècles à une concurrence acharnée. On citera ici rapidement l’industrie textile des Indes orientales ravagée au début du XIXème siècle par la concurrence anglaise, et dans la deuxième moitié du XIXème siècle la terrible condition ouvrière anglaise elle-même soumise à la concurrence internationale.
A l’époque actuelle le bilan du libre-échange généralisé est tout aussi catastrophique. Au Mexique, le bilan des accords de libre-échange avec ses voisins du nord qui bénéficient de subventions agricoles est terrible : les quatre cinquièmes de la population des campagnes vivent dans la pauvreté et plus de la moitié dans l’extrême pauvreté. En Europe on parle souvent de l’exode massif venant des pays du Sud, mais comment reprocher à ces gens de chercher du travail en Occident alors que leur économie a été anéantie par une concurrence déloyale ? Quand le coton américain est exporté au Bénin, les producteurs locaux ne peuvent résister à cette agression économique et sont obligés d’abandonner leurs champs pour s’amasser dans les bidonvilles de Cotonou. Plus près encore de chez nous, c’est le processus mortifère des délocalisations qui frappe depuis près de 30 ans l’ensemble des économies occidentales.
Le bilan du libre-échange sur l’industrie française
Rappelons ici un triste constat : de 1980 à 2010, sous l’effet du libre-échange et des délocalisations l’industrie française a perdu 1 900 000 emplois, ce qui a représenté une baisse de 36 % de ses effectifs. Ce recul de l’industrie a été très significatif : sa contribution au PIB est passée de 24% à 14%. Il faut mettre ces chiffres en relation avec d’autres : en 2010, le déficit commercial de la France avec la Chine était de 11 Milliards d’euros, en 2015 de près de 30 Milliards d’euros, et ce n’est pas une spécificité française. Tous les pays européens à l’exception de l’Allemagne étaient en 2010 en déficit pour un total de 169 milliards d’euros, en 2016 pour plus de 180 Milliards d’euros. On parle ici de la Chine mais il faudrait bien sûr citer l’Inde, et au sein de l’UE la Pologne et l’ensemble des PECO (Pays d’Europe Centrale et Orientale). C’est un fait : depuis 30 ans les activités et les emplois ont migré vers des pays à bas coût de main d’œuvre souvent avec la complicité des pouvoirs publics. Que ceux qui en doutent encore aillent consulter des sites roumains qui conseillent d’investir chez eux : le salaire horaire moyen y est de 2,68 euros contre 30 en France et le SMIC brut roumain est de 322 euros contre 1445 en France. Ces mêmes sites incitent d’ailleurs à l’embauche de médecins roumains en France ; ils assureront les services d’urgence des hôpitaux publics pour de bas salaires sans broncher…
Délocaliser en Roumanie.
La délocalisation : entre mythe médiatique et réalité économique. Un phénomène qui existe et qu’on ne peut pas occulter par simple amour du "politiquement correct". Nos conseils et observations pour bien réussir sa délocalisation en Roumanie.
Chez www.investir-roumanie.com nous sommes conscients du sens profondément négatif que le mot "délocalisation" porte. Il est synonyme de licenciements abusifs et plans sociaux massifs dus à des patrons et actionnaires toujours à la recherche d’une meilleure rentabilité économique, quitte à produire des dégâts sociaux. Cette image quelque peu manichéenne du phénomène de délocalisation, notamment telle qu’elle transparaît à travers la presse et les communiqués des organisations syndicales occidentales, mérite toutefois d’être nuancée.
A travers un sondage réalisé par "StrateGEst EuropeConsulting" auprès d’un groupe de 30 PME industrielles françaises en 2007, il apparaît que 70 % de leurs patrons qui ont songé ou procédé à la délocalisation l’ont fait en raison du manque de flexibilité sociale dans leur entreprise par rapport aux variations du marché : ils ont invoqué la difficulté (risque financier et risque d’un procès juridique et médiatique confondus) de licencier des salariés en contrat à durée indéterminée en cas de réduction du carnet de commandes ou de fluctuations saisonnières et/ou le niveau excessivement élevé de la rémunération légale minimum dans leur branche (taux horaires du SMIC fixé unilatéralement par le gouvernement ou par des conventions collectives et les charges sociales respectives). Le reste des patrons interviewés ont évoqué le manque de motivation de leurs salariés directement productifs (opérateurs), une fiscalité de l’entreprise trop lourde et le besoin de maintenir un niveau de compétitivité suffisant de leurs produits d’entrée de gamme par rapport aux produits similaires importés notamment de l’Asie.
Nous considérons que la délocalisation industrielle est un phénomène qui connaît un essor très important actuellement dans les économies occidentales. Son rôle économique n’est pas négligeable, notamment à l’échelle de l’Union européenne, car elle procède à une homogénéisation des tissus industriels entre l’Ouest et l’Est. Sans ignorer ou minimiser l’impact social de telles opérations, nous vous fournissons ci-dessous 10 conseils pour délocaliser en Europe de l’Est dans des conditions de maîtrise des coûts et des risques. Bien évidemment, la Roumanie se distingue comme une destination privilégiée pour les délocalisations au sein de l’Union européenne en raison notamment de son coût de main d’œuvre le plus réduit de tous les nouveaux pays adhérents…
Critiques du protectionnisme
Les classes dirigeantes qui ont bien compris que l’idée protectionniste menace leurs intérêts, ont développé une batterie d’arguments pour tenter de discréditer cette approche. Nous avons déjà vu que pour eux le protectionnisme mènerait au communisme ! Pour d’autres il conduirait à une autarcie pathologique et au syndrome albanais de l’isolement total dans un fonctionnement figé. Tout ceci ne résiste pas au simple bon sens. Il y a d’abord une méconnaissance de la démarche protectionniste qui est un ensemble d’outils de régulation du commerce. On citera les contingentements, les quotas d’importation, les taxes douanières, les accords de coopération qui peuvent prendre en compte des critères sociaux, environnementaux ou fiscaux. Il y a enfin une méconnaissance de l’Histoire qui montre les effets positifs de la démarche : comme nous l’avons vu, l’industrie des Etats-Unis s’est consolidée au XIXème siècle derrière des barrières douanières. Récemment les fameuses trente glorieuses (1950-1980) - où dominait sur le plan économique une approche protectionniste - ont vu en Europe des taux de croissance de 4%. Encore plus près de nous, le boum économique du sud-est asiatique de 1985 à 1995 s’est fait avec une protection scrupuleuse des marchés intérieurs. Enfin, si vous abordez cette question avec un libéral convaincu, vous n’échapperez pas à l’évocation larmoyante de la crise des années 30 dont il faudrait voir la cause dans des mesures protectionnistes. Mais des historiens sérieux ont montré que cette terrible récession avait été en fait la résultante d’une politique calamiteuse de l’après première guerre basée sur la déflation salariale imposée au peuple allemand et aussi, sous l’autorité de Pierre Laval, au peuple français.
Un protectionnisme européen est-il possible ou souhaitable ?
En mars 2012, à l’initiative de onze économistes français dont J. Sapir, J.L. Gréau, B. Cassen, un appel a été lancé dans le cadre juridique d’une « Initiative Citoyenne Européenne » (ICE), dans neuf pays.. Elle demandait de rétablir la « préférence communautaire » et une concurrence loyale, en instaurant un « protectionnisme commercial aux frontières de l’Europe ». Manifestement, elle n’a pas abouti. Mais une analyse lucide de la situation montre facilement que cette inflexion sera très difficile car il faut que les vingt-sept pays de l’Union européenne acceptent de modifier les traités pour y inclure des clauses protectionnistes. Ce serait une véritable révolution allant à l’encontre de tout l’attirail idéologique déployé depuis trente ans. Mieux encore, on peut se demander si c’est souhaitable, car des mesures protectionnistes aux frontières de l’Union européenne ne résoudraient pas les problèmes en profondeur. En effet, comme cela a déjà été évoqué, avec l’entrée des Pays de l’Europe centrale et orientale dans l’Union européenne, l’objectif des oligarques européens était clairement de faciliter les délocalisations et d’accélérer le libre-échange. L’Allemagne en particulier, par les politiques menées depuis Gerhardt Schröder, en organisant la déflation salariale, en faisant fabriquer à l’Est une part significative de sa production industrielle et en la ré-important dans la zone euro, a pu accumuler d’énormes excédents commerciaux. Ces derniers sont une des causes majeures de la crise de l’euro. Passer sous silence la « nouvelle question allemande » n’est pas de nature à orienter les luttes sociales et politiques dans une direction bien assurée. Là encore les véritables problèmes risquent d’être esquivés.
Pour certains il faut un protectionnisme européen mais nous avons vu que cela est très improbable. Pour d’autres seules des mesures protectionnistes prises à l’échelle nationale sont susceptibles d’être décidées rapidement et d’obtenir des résultats. Mais il faudrait alors proposer à tous les partenaires commerciaux de la France des accords bilatéraux de coopération commerciale reprenant les principes de la charte de La Havane de 1948 et surtout le premier d’entre eux : le but du commerce international doit être le plein-emploi pour tous.