LA DEFENSE DE LA LANGUE FRANCAISE : UN ENJEU DE SOUVERAINETE
1- La langue française facteur d'unité nationale
La pratique exigeante de notre langue, à travers un exercice rigoureux de l'orthographe, la chasse aux anglicismes, l'attention à la richesse du vocabulaire employé, est souvent raillée comme ringarde et réactionnaire. Nos élites branchées vantent les mérites du « langage SMS » et sont convaincues de la supériorité de l'anglais dans un monde converti aux vertus du libre-échange. Pourtant, le français est la « langue de la République » (art. II de la Constitution). La pratique uniforme du français dans notre pays n'est-elle pas, d'une certaine façon, le premier service public en France ? L'unité de la France s'est construite progressivement autour de facteurs sociaux, économiques et culturels. L'adoption du français comme langue unique et officielle y a beaucoup contribué.
Le 15 août 1539, à Villers-Cotterêts le roi François Ier promulgait une ordonnance de 192 articles. Tous les actes légaux et notariés, rédigés précédemment en latin, le seront désormais en « langage maternel français et non autrement ». Ainsi, l'objectif de rendre les documents administratifs et judiciaires accessibles à tous est clairement posé. Obligation est faite aux curés d’enregistrer les baptêmes, obligation étendue aux décès et aux mariages ultérieurement. En 1792, l'Assemblée Nationale transfère cette charge aux officiers municipaux, les maires et leurs adjoints : l'état civil et les bases d'une administration moderne sont nés. Sous la Révolution, dans la continuité de la volonté de François Ier, le décret du 2 Thermidor an II (20 juillet 1794) impose le français comme seule langue de toute l’administration. Pour les révolutionnaires, la pratique du français doit se généraliser, comme vecteur de l'idéal démocratique et révolutionnaire. L'unification linguistique de la France s'est alors accomplie, difficilement certes, et ne s'est terminée que vers la moitié du XXème siècle. Cela s'est réalisé notamment par la pression parfois violente exercée sur les élèves par les instituteurs de l’école laïque (punitions liées à la pratique des patois et des langues régionales). Le prestige de la France dans le concert des Nations à l'époque des Lumières a imposé le français comme langue des élites européennes et de la diplomatie jusqu'au début du XXème siècle.
Aujourd'hui, le français est la cinquième langue la plus parlée au monde (300 millions de locuteurs représentant 4% de la population mondiale). L'OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) regroupe 57 états membres et 20 pays observateurs. L'OIF promeut la diversité culturelle et s'oppose à la soumission des biens culturels aux accords internationaux sur le commerce. Alors, pourquoi tant de haine contre le « bien-parler » ?
2- La dévaluation de la pratique du français
* La loi Toubon
La loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française établit l'obligation d'utiliser la langue française pour les documents légaux (textes administratifs, contrat de travail, documents commerciaux, publicité) : « Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics. Elle est le lien privilégié des Etats constituant la communauté de la francophonie »(1). Le décret d'application du 3 juillet 1996 impose l'usage des termes en français dans les services et établissements publics de l'Etat (articles 11 et 12 du décret). La DGCCRF (Direction Générale de la Consommation et de la Répression des Fraudes), le CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel), l'ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) et les associations de défense de la langue française sont chargés du contrôle de l'application de la loi.
* La promotion de l'anglais comme politique de substitution linguistique
La loi Toubon est excellente dans ses principes, elle est malheureusement souvent allégrement bafouée, en particulier par nos élites « internationalistes ». Dans un article publié sur le site de l'association C.O.U.R.R.I.E.L, Georges Gastaud parle de « Stopper la politique de substitution linguistique de l’anglais à la langue française »(2). De belles âmes pourraient s'indigner et y voir une référence à la nauséabonde théorie d'extrême-droite du « grand remplacement » (substitution des migrants aux français de « souche »). Pourtant, dans le domaine linguistique, ce concept de substitution lexicale paraît pertinent. En effet, on voit advenir une floraison de termes ou de slogans en anglais dans le monde de l'entreprise (y compris pour les entreprises publiques), ainsi que dans les expressions utilisées par les collectivités locales et par le chef de l'Etat : « Choose France », « Make the planet great again ! », « French Tech »« In Annecy Mountains », « Only Lyon », « Navigo Pass » « Make the planet great again » « OuiGo (we go) »... Le 10 janvier 2017, le futur chef de l'Etat, Emmanuel Macron, s'était exprimé en anglais à l'université Humboldt de Berlin "J'ai pris le parti de vous parler ce soir en anglais, par facilité et pour que nous nous comprenions" , s'était-il alors justifié...
D'autre part, la loi Fioraso du 22 juillet 2013 autorise l'enseignement en anglais dans les universités et grandes écoles, tout en interdisant aux établissements d’offrir des formations diplômantes exclusivement en anglais. Dans cet esprit, de plus en plus d'universités cherchent à imposer, de façon illégale, l'enseignement tout en anglais : 1198 programmes d'enseignement sont réalisés entièrement en anglais, dont 928 masters, parmi lesquels 442 débouchent sur un diplôme national. Certaines entreprises veulent imposer à leurs salariés des documents en anglais sans traduction. Face à ses attaques, un collectif d'associations a adressé une lettre ouverte à M. Toubon le 14 juillet 2019 pour « Dénoncer la carence de l’État dans la volonté de respecter, et faire respecter, la Constitution (article 2) et la législation de protection de la langue française en France »(3).
* La Charte des langues régionales ou minoritaires
Cette Charte adoptée par le Conseil de l'Europe en 1992 vise à « la reconnaissance des langues régionales ou minoritaires en tant qu'expression de la richesse culturelle (...), la nécessité d'une action résolue de promotion des langues régionales ou minoritaires, afin de les sauvegarder »(4) . Ces objectifs semblent fort louables, là où le bât blesse c'est quand il est dit que l'on veut promouvoir « la facilitation et/ou l'encouragement de l'usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée ». Ceci constitue une porte ouverte à la reconnaissance de droits particuliers pour une catégorie de citoyens, ceux pratiquant une langue régionale donnée. Le droit à la différence dérive ainsi vers la différence des droits, matrice du communautarisme. Comme le dit fort justement Jean-Luc Mélenchon : «la Charte demande aux Etats de « prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ». […] Va-t-on pour cela élire des représentants des locuteurs de telle ou telle langue ? Créer un sénat des nationalités ? Non ! Ce serait en totale contradiction avec l’idée d’égalité républicaine ! Mais le pire est cette idée de « faire bénéficier de procédures en langues régionales devant les autorités judiciaires », comme le prévoit l’article 9 de la Charte, ou devant les services publics, comme l’exige l’article 10. Témoigner, poursuivre en justice, signer des contrats dans une autre langue que la langue française constituerait un recul par rapport à l’ordonnance de Villers-Cotterêts de François Ier »(5).C'est ce que l'on appelle le principe de co-officialité d'une langue minoritaire avec le français, principe qui porterait un coup fatal à notre République « une et indivisible ». Les adversaires de cette Charte ont souvent été stigmatisés comme d' affreux « jacobins » accusés de vouloir opprimer les minorités linguistiques. Cette accusation est ridicule : il ne s'agit pas de s'opposer à la pratique des langues régionales, évidemment, mais de préserver le français comme « langue de la République ». Les langues régionales sont fort bien défendues en France : en 1951 la loi Deixonne a officiellement autorisé et favorisé l’apprentissage des langues régionales dans l’enseignement public. De nombreuses régions assurent, par ailleurs, la promotion des langues régionales. Les partisans de la Charte ne semblent pas non plus préoccupés outre mesure par le fait que les langues des migrants sont exclues de la définition de ce qu'est une langue minoritaire pour la Charte. Ils sont aussi curieusement insensibles au fait que la Charte émane de parlementaires membres de partis d'extrême-droite unis dans « l’Union fédéraliste des communautés ethniques européennes », tout un programme...Le véritable problème, comme nous l'avons souligné plus haut, concerne la domination de l'anglais dans l'enseignement et dans la vie professionnelle et culturelle courante.
Qu'est-il advenu de ce texte en France ? La France a signé la Charte le 7 mai 1999. En 2008, la mention "les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France" est rajoutée dans la Constitution. En janvier 2014, l'Assemblée Nationale vote un amendement constitutionnel autorisant la ratification de la Charte (promesse de campagne de François Hollande). Mais le Conseil Constitutionnel avait émis un avis négatif sur la ratification le 15 juin 1997, car il avait estimé que la Charte s'opposait « aux principes d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français ». Le Sénat rejette finalement le texte le 27 octobre 2015.
Une fois n'est pas coutume, les principes républicains se sont imposés face aux idéologies différencialistes.
3- Les raisons de ces attaques contre l'unité linguistique du pays : la volonté de démanteler l'Etat-Nation
La volonté d'imposer l'anglais, et la tentative, heureusement avortée, de faire adopter la Charte des langues régionales sont des initiatives qui ont un point commun. Il y a là, dans chaque cas, une volonté délibérée d'attenter à l'unité de l'Etat-Nation français. D'une façon un peu similaire aux attaques menées contre la laïcité, les offensives contre le français visent à favoriser la fracturation du corps social et national. Il faut « diviser pour régner » pour pouvoir briser les dernières résistances aux politiques néolibérales. Il s'agit aussi, bien sûr, de renforcer l'hégémonie culturelle du pays dominant l'économie mondiale. Les colonisateurs ont toujours imposé leur langue aux peuples qu'ils soumettaient. La langue est un outil de domination et c'est bien encore ainsi avec l'anglo-américain qui colonise la planète. Il faut nous persuader que la lutte contre le néolibéralisme passe aussi par la lutte contre l'invasion des anglicismes et du « globish », cette version dégénérée de la langue de William Shakespeare, Virginia Woolf ou Charles Dickens. « En réalité, ce sabir - comme les précédents - n'est qu'un code provisoire et périssable exprimant les croyances, les particularités et les travers d'une époque. Il marque à la fois le souci d'appartenance à un groupe et la volonté de noyer les désarrois ou les éventuelles indigences (mentales) dans le flou commode d'un jargon. Comme toutes les langues de bois, il promeut souvent de fausses valeurs »(6). Ainsi, nous contribuerons, nous les losers, à mettre en échec les winners, les managers, les leaders de la start-up Nation qui ne jurent que par le cash, le business !
Georges Gastaud est philosophe, syndicaliste, enseignant et militant communiste. Il préside l'association COURRIEL (Collectif Unitaire Républicain pour la Résistance, l'Initiative et l'Emancipation Linguistique)
(5) - http://europe.jean-luc-melenchon.fr/2013/09/19/encore-une-fois-la-charte-des-langues-regionales/