Maurice Genevoix "panthéonisé"
Lit-on encore Maurice Genevoix, oui peut-être, sans doute même, si l’on se réfère à toutes les oeuvres dans lesquelles cet écrivain à la langue exigeante, se fait le chantre de la nature et tout particulièrement de la Loire. Faut-il pour cette raison le considérer comme un écrivain régionaliste, voire le premier écologiste? En réalité, celui qui devint secrétaire perpétuel de l’Académie française avant de démissionner de cette charge en 1973 pour retrouver sa liberté mérite sans l’ombre d’un doute la reconnaissance qui lui est faite par son entrée au Panthéon pour d’autres raisons que son talent littéraire.
Son héroïsme fut indiscutable, grièvement blessé en 1915 aux Eparges, il en paya le lourd tribut toute sa vie. Il a sa place au Panthéon des héros parce qu’il fut de ceux qui incarnent la grandeur sacrificielle des citoyens , d’une nation entière, répondant à l’ordre de mobilisation générale du 1er Août 1914.
Parmi ses oeuvres le titre le plus souvent cité par les journalistes aujourd’hui n’est pas le plus connu. C'est celui d’un recueil de nouvelles, «Ceux de 14» publié en 1949. Par ce titre Genevoix évoque l’ensemble des combattants de la grande Guerre et porte ainsi témoignage pour tous mais d’autres écrivains auraient pu et dû lui être associés par Emmanuel Macron dans cet hommage au Panthéon. Il nous faut les citer ici parce qu’ils méritent eux aussi d’entrer au Panthéon de nos mémoires et d’être lus par ceux qui ne les connaissent pas encore.
En voici les noms:
Roland Dorgelès : Les croix de bois, prix Femina 1919, l’auteur est engagé volontaire et porte témoignage de la vie dans les tranchées.
Henry Barbusse a lui laissé un des témoignages les plus terrifiants sur la réalité du conflit dans un ouvrage intitulé " Le feu" pour lequel il obtint le prix Goncourt en 1916. Cet écrivain très célèbre à l’époque et particulièrement reconnu par les poilus est tombé aujourd’hui dans l’oubli sans doute en raison du caractère révolutionnaire de ses écrits.
Reste à évoquer le nom de Gabriel Chevalier et de son récit " La Peur". Mobilisé à vingt ans il fera toute la guerre comme simple soldat et livre un témoignage autobiographique bouleversant, plus glaçant peut-être que celui de Barbusse. L’oeuvre jugée anti militariste sera censurée en 1939. Elle est aujourd’hui rééditée.
Aujourd’hui, 11 Novembre 2020, Emmanuel Macron, selon un rituel maintenant éprouvé, va célébrer l’entrée de Maurice Genevoix au Panthéon.
Il s’agit donc là du dernier épisode en apothéose de ces commémorations entamées en 2018 pour célébrer le centenaire de la fin de la guerre ( la der des der ! ) par le Président de la République. Passons sur l’itinérance mémorielle calamiteuse lors de la célébration en 2018 de l’Armistice, d’un Emmanuel Macron rattrapé lors de son périple dans les hauts lieux du conflit, par le contexte social et politique qui en fit pour lui - ironie du sort - un nouveau «parcours du combattant» bien éloigné de ses ambitions initiales.
Rien de tel à craindre aujourd’hui. La pompe et la solennité du lieu, la diffusion «urbi et orbi» d'une cérémonie presqu’intime au cours de laquelle le Président seul en scène pourra déployer son amour immodéré de la théâtralité, le mettent à l’abri des inconvenances populaires. Cet aboutissement sera ce qu’il a voulu en faire ; non plus la célébration d’un armistice d’une des plus effroyables boucheries de notre histoire mais un prétexte à justifier une politique dictée par les «temps de guerre» que nous connaitrions et que les Français «parce qu’ils sont résiliants» courageux et unitaires sauront accepter.
Affirmer que nous sommes en guerre pour justifier un flot de mesures autoritaires, d'atteintes aux libertés, faire la guerre sur des terrains étrangers dans certaines actions baptisées OPEX ( opérations extérieures), entretenir des milliers d’hommes sur ces terrains, célébrer l’Armistice et dans le même temps ériger un monument conçu pour que l’on puisse y ajouter les noms des militaires de métier morts «pour la France», serions-nous assez «résiliants» et «unitaires» pour l’accepter ? Vraiment ?