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"Embrigadement" de l’inspection du travail dans la lutte contre le « séparatisme »

Publié le par MS21

(Témoignage d'un adhérent du MS21, directeur honoraire du travail )

(Témoignage d'un adhérent du MS21, directeur honoraire du travail )

A propos de « l’embrigadement » de l’inspection du travail dans la lutte contre le « séparatisme »

L’énergique contestation par certains inspecteurs du travail, relayée par la CGT, de l’injonction reçue de leur hiérarchie de participer aux contrôles de 400 établissements « communautaires » suspectés de radicalisation islamiste est-elle justifiée ? Oui et non, du moins aux yeux de l’auteur de ces lignes en sa qualité d’ancien membre de l’inspection du travail.

Certes, l’argument émis par les protestataires selon lequel cette injonction n’aurait été précédée d’aucune explication préalable des éléments de fait qui fonderaient précisément le choix des établissements à contrôler comme les raisons de leur contrôle est indubitablement recevable. Car, si le fait était avéré, à réduire ainsi les inspecteurs du travail à des exécutants aveugles des ordres reçus, leur hiérarchie méconnaîtrait d’évidence leur indépendance de jugement et d’action garantie par la Convention 81 de l’OIT. Il fonderait aussi leur suspicion légitime d’être ainsi conduits à instrumenter une action politique sans aucun rapport avec l’objet légal de leurs missions, voire illégalement discriminatoire à l’encontre d’une religion. Seules des raisons précises de haute sécurité pourraient le justifier dans certains cas, mais elles ne sont même pas invoquées par les auteurs de l’injonction en l’occurrence.

C’est pourquoi une telle raison de leur réticence à obtempérer à cet ordre est d’autant plus compréhensible que le pouvoir exécutif français a ancré depuis quelque temps son exercice en tous domaines (notamment sanitaire...) dans un autoritarisme vertical sans faille qui n’écoute que les voix – parfois discordantes – des experts dont il s’entoure dans une opacité totale ainsi que la vérité très relative de leurs « nombres », sans plus se préoccuper de la réalité du territoire, et ce le plus souvent au détriment de la vraie efficacité.

Est-ce à dire pour autant que la participation des inspecteurs du travail à des contrôles interministériels d’établissements identifiés par les services de renseignement comme inféodés à des organisations islamiques radicales, ou en lien étroit avec elles, est injustifiée au regard de leurs missions et objectifs propres (la protection des droits des travailleurs) ? Certainement pas, pourvu du moins que leur ciblage, outre le fait que les inspecteurs du travail concernés y soient étroitement associés, soit exempt de toute intention discriminatoire contre une seule religion, ce qui ne semble pas être forcément le cas.

Ainsi, pour avoir dirigé pendant huit ans l’ancienne délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal (DILTI, dissoute en 2008 par Nicolas Sarkozy pour de bien mauvaises raisons...), l’auteur de ces lignes ne connait que trop bien l’intrication très fréquente des infractions les plus graves au droit du travail (constitutives du travail dit illégal ) avec d’autres catégories d’infractions aussi graves, c’est-à-dire selon les cas : fraudes fiscales, recel, corruption, blanchiment d’argent sale, trafics illicites en tous genres (notamment d’êtres humains), escroqueries, abus de faiblesse de personnes vulnérables...etc. Cette intrication de fraudes est précisément ce qui caractérise l’économie criminelle quels que soient ses commanditaires, ses exécutants et ses motivations ultimes. Les activités productives et commerciales exercées sous le contrôle ou sous l’influence des idéologies extrémistes et de certaines sectes religieuses hostiles aux valeurs républicaines ou obscurantistes rentrent indéniablement dans la catégorie de celles où existe un haut risque de choix de l’économie criminelle. Il est souvent révélé par divers témoignages ou plaintes de victimes et par l’état inexpliqué de leurs ressources. Or, c’est aussi dans l’économie criminelle que travaillent et sont exploités de façon éhontée de nombreux travailleurs vulnérables et aisément manipulables, ce contre quoi les inspecteurs du travail ont mission première de lutter. De ce point de vue, l’invocation de cette intrication par le responsable de l’unité départementale du 77, en réponse au refus de l’inspecteur du travail de participer au contrôle des établissements suspectés de « séparatisme », est parfaitement fondée.

L’implication des inspecteurs du travail dans l’action interministérielle de lutte contre cette économie criminelle est d’autant plus justifiée et même nécessaire qu’ils en sont un des maillons les plus efficaces pour des raisons de droit : ils sont les seuls à pouvoir légalement entrer à tout moment et sans mandat judiciaire dans toute entreprise, d’y faire leurs constats et d’y interroger pour cela qui ils veulent, mais aussi de se faire accompagner par des membres d’autres corps de contrôle qui pourront y relever les faits qui relèvent de leurs missions respectives. C’est la raison pour laquelle de mon temps, et ce depuis longtemps, on nous appelait « les ouvre-boîtes » des autres corps de contrôle (on suppose que c’est toujours le cas).

Cela ne se passait pas non plus parfois sans protestations de notre part, notamment quand les autres agents de contrôle embarquaient documents, témoins et travailleurs clandestins sans même nous laisser le temps de faire les constats et les interrogatoires relevant de nos propres missions, celle en particulier de protéger les droits des travailleurs exploités. Mais ceci est un autre problème, également ancien... Du moins, pour le souvenir que j’en ai, étions-nous étroitement associés à la décision et à la préparation de ces contrôles interministériels, ce qui n’est manifestement plus le cas aujourd’hui. A cet égard, on ne peut qu’approuver la note de la Direccte d’Ile-de-France, citée par Médiapart, qui suggère d’organiser ces contrôles dans le cadre territorial interministériel des CODAF supervisés par le procureur, ce qui permettrait aux inspecteurs du travail d’y faire entendre leur point de vue et de faire prendre en compte leurs autres priorités.

Reste à examiner la valeur du reproche d’incitation à des contrôles discriminatoires contre la religion musulmane évoqué dans certaines protestations. A cet égard, si l’islam radical peut être indéniablement considéré comme une dérive sectaire rentrant dans le champ d’action de la MILIVUDES (mission interministérielle de vigilance et lutte contre les dérives sectaires) et si les établissements identifiés comme lui étant affidés peuvent à juste titre être classés dans les cibles prioritaires des contrôles interministériels, encore doit-il être traité de la même manière que les autres dérives sectaires exposées à la tentation de l’économie criminelle, sauf à prendre en compte la dangerosité exceptionnelle et imminente des activités de certains établissement ciblés. L’Etat ne saurait en effet oublier ni son devoir de neutralité à l’égard des religions depuis la loi de 1905, ni négliger la criminalité d’autres dérives sectaires, lui apparût-elle moins dangereuse. Car, l’islam radical est aujourd’hui l’arbre qui cache la forêt de toutes les autres dérives sectaires également criminelles et « séparatistes » de l’ordre et des valeurs de la République française.

Pour illustrer cette appréciation, qu’on me pardonne de donner ici l’exemple de quelques faits personnellement vécus au cours des dernières décennies, qui illustrent assez bien l’ancienneté et la diversité de l’origine sectaire des dangers séparatistes qui nous menacent aujourd’hui et les facteurs de leur développement actuel : par exemple la découverte dans les années quatre-vingt-dix au sein d’une direction départementale du travail du nombre impressionnant de sectes de toutes religions, non identifiées comme telles jusque alors, qui avaient répondu à ses appels d’offre annuels pour la formation professionnelle des adultes chômeurs ou l’aide à la création d’entreprises et obtenu les financements publics, jusqu’à ce que les contrôles fassent apparaître leur usage au moins partiel à des fins de prosélytisme ; ou encore la disparition au début des années 2000 d’un gros dossier de la DILTI, constitué de signalements de faits susceptibles de constituer des infractions graves commises par une puissante secte dite « protestante » (qu’on ne nommera pas ici), sans que l’enquête interne de la gendarmerie conduite à son sujet ait réussi à identifier les nécessaire complices de cette substitution de dossier au sein de la Délégation. Il n’y a donc pas que l’islam radical qui sait infiltrer l’appareil d’Etat...

Plus encore, pour être né par le hasard du destin dans une famille de la communauté protestante historique française, dite huguenote, j’ai fait récemment l’expérience de son infiltration massive par le protestantisme d’origine américaine à l’occasion des obsèques d’une cousine, célébrées dans un temple protestant d’une grande ville d’Ile-de-France. Le sermon religieux de la pasteure y fut tellement imprégné d’un obscurantisme exalté à l’américaine, à l’opposé de l’esprit rationaliste huguenot français, que j’en fus terriblement choqué et indigné. Cela confirmait ainsi ce qu’un pasteur, ancien président du consistoire protestant français, avait justement signalé il y a deux ou trois ans de cette infiltration dans une tribune du Monde, pour s’en alarmer (je n’ai malheureusement pas souvenir du nom de ce pasteur, ni de la date exacte de la parution de sa tribune).

Or, là où progresse l’obscurantisme religieux, progresse aussi la défiance aux valeurs et aux lois de la République et de la démocratie. Il suffit pour cela d’observer ce que produit aux Etats-Unis et au Brésil le soutien massif des évangélistes protestants aux délires délétères d’un Trump ou d’un Bolsonaro qu’ils ont portés au pouvoir, ceux dont la puissance électorale est d’abord construite par l’argent acquis dans des conditions dont on sait bien qu’elles sont difficilement compatibles avec le respect des valeurs et lois d’une démocratie sociale digne de ce nom. C’est dire que le séparatisme d’inspiration dite religieuse ne concerne pas que l’islamisme radical et que cette raison comme celle de l’obligation de neutralité de l’Etat commande de ne pas concentrer les contrôles de respect des lois sur le seul islam radical, dès lors qu’on veut prendre comme cibles prioritaires les établissements suspectés de dérives sectaires.

Que l’on ne se méprenne néanmoins surtout pas sur le sens à donner à l’évocation par ces exemples de l’exposition des religions de France au risque de dérives sectaires conduisant au séparatisme et à la délinquance, notamment économique et sociale. Elle ne vise en rien à soutenir une position laïciste hostile aux religions. Elle tend au contraire à montrer que toute religion est exposée au risque de pratiques déviantes en son nom par certains de leurs adeptes, un risque qu’augmente il est vrai pour certaines d’entre elles l’insuffisante structuration de leur organisation cléricale dans le cadre institutionnel national et une insuffisante exégèse de leurs écritures saintes, voire des dogmes qui ne reconnaissent pas la séparation du royaume de Dieu de celui des hommes. Or, c’est précisément à raison de l’importance de ce risque qu’il faut les en protéger. Les contrôles interministériels de leurs activités économiques sont donc plus que jamais indispensables en ces temps de montée planétaire fulgurante de toutes les formes d’obscurantisme les plus dangereuses pour l’ordre républicain et démocratique, pourvu qu’ils soient programmés et exécutés correctement dans le respect de l’autonomie de jugement et d’action des inspecteurs du travail, et sans discriminations. C’est non seulement un ancien membre de l’inspection du travail qui le pense, mais aussi un homme qui, s’il n’a plus de religion, est cependant le descendant d’un pasteur nommé Joseph Priestley qui, outre ses quelques compétences scientifiques qui lui ont fait isoler l’oxygène et qu’il a développées grâce à son amitié avec Lavoisier, est surtout le fondateur de la religion protestante américaine baptiste. On ne choisit pas ses origines, mais je m’en console en voulant croire que la religion baptiste nest pas plus exposée que d’autres au risque de dérives sectaires en France et que son fondateur fut aussi depuis l’Amérique un ardent supporteur de la révolution française jusqu’à sa mort.

Thierry Priestley

Directeur honoraire du travail

OIT : Organisation Internationale du Travail

DILTI : Délégation Interministérielle à la Lutte contre le Travail Illégal

Direccte : Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi

CODAF : Comités Opérationnels Départementaux Anti-Fraude

 
 
 
 
 
 
 
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