Afghanistan : des clés pour comprendre
Afghanistan : des clés pour comprendre
Le 4 juillet 2017, nous avons publié un article intitulé : « L’homme le plus malfaisant des Etats-unis est mort ». Il s’agissait de Zbigniew Brzezinski et nous avions joint à notre article l’entrevue parue dans le journal le Nouvel Observateur où l’on y apprend que « Oui, la CIA est entrée en Afghanistan avant les Russes...»
https://ms21.over-blog.com/2017/07/l-homme-le-plus-malfaisant-des-etats-unis-est-mort.html
L’Afghanistan est un pays de montagne, où la circulation est difficile, la communication d’une vallée à l’autre compliquée. Cette géographie favorise une organisation tribale de la société qui comprend de nombreuses ethnies : les Pachtouns, les Tadjiks, les Ouzbeks, les Turkmènes, les Baloutches, les Hazaras ... Politiquement, le pays est très instable : depuis l’année 1900 douze dirigeants ont été déposés, renversés ou assassinés !
1- Période 1978-2001
Le Parti démocratique populaire (PDPA) , d’obédience communiste, s’empare du pouvoir le 27 avril 1978 renversant la dictature de Mohammad Daud Khan, le cousin du roi Zahir Shah. Cette révolution, immensément populaire, a pris les Britanniques et les Américains par surprise. Le Washington Post rapporte que "la loyauté des Afghans envers le gouvernement peut difficilement être mise en doute." Laïc, moderniste et, dans une large mesure, socialiste, le gouvernement proclama un programme de réformes comprenant, entre autres, l’égalité des droits pour les femmes et les minorités, une réforme agraire, la gratuité des soins médicaux et une campagne d’alphabétisation de masse.
Le pays est alors rebaptisé République Démocratique d'Afghanistan. Mais dès le début le nouveau gouvernement doit affronter l’opposition des moudjahidines (1), ce qui le conduit à demander l'aide de l'URSS. D’après les déclarations de Brzezinski, les moudjahidines sont formés, financés par la CIA depuis juillet 1979, bien avant l’entrée des troupes soviétiques qui passent la frontière seulement le 27 décembre 1979. Les grands journaux français atlantistes ( Le Monde, Le Figaro, Le Point, L’Obs, …) publient de nombreux articles héroïsant les moudjahidins et leur lutte contre le communisme et l'URSS qui a « envahi » l’Afghanistan ! Armés de missiles Stinger fournis par la CIA, ils réussissent à vaincre l’Armée rouge qui se retire en 1989 en bon ordre. La République Démocratique d'Afghanistan parvient encore à résister trois ans aux moudjahidines mais le dernier Président communiste Mohammad Nadjibullah est déposé et le gouvernement communiste s'effondre. S’ensuit une période trouble de guerre civile (1992-1996) où « les seigneurs de la guerre » font la loi dans leur fief au moyen de leur milice.
En 1996 les Talibans (2) prennent le pouvoir pour, disent-ils, ramener l’ordre et la paix. Les Afghans sont fatigués de leur guerre avec l'URSS et des exactions des chefs de guerre qui ensanglantent le pays et beaucoup accueillent volontiers ces religieux qui amènent l'ordre et la sécurité. Après la prise de Kaboul des milliers de communistes et de progressistes afghans sont assassinés, dont l'ex-président Mohammad Najibullah. Les Talibans imposent la charia (3) et accordent une base sûre à Oussama Ben Laden. Ils ont le soutien des Etats-Unis jusqu'au 11 septembre 2001.
Période 2001- 2014 : Invasion de l’Afghanistan par l’OTAN
Suite aux attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis veulent pourchasser et capturer Ben Laden, chef d' Al-Qaïda, qu’ils tiennent pour responsable des attentats à New York et à Washington. Or les Talibans refusent l’extradition…Le président des États-Unis George W. Bush obtient de l’ONU la mise sur pied d'une intervention internationale en Afghanistan dans le but d'anéantir Al-Qaïda. La cause officielle de cette invasion est donc lutter contre le terrorisme international, capturer Oussama Ben Laden, chasser les Talibans du pouvoir afghan... mais il existe d’autres raisons moins avouables (4)….
Les forces terrestres des moudjahidines et les frappes aériennes de l’OTAN renversent le régime taliban en quelques mois. Les États-Unis mettent en place un gouvernement intérimaire, entreprennent la réorganisation de l’armée et de la police et Hamid Karzaï devient le nouveau président de la République islamique d’Afghanistan.
L'invasion de l’Irak ordonnée en 2003 par le Président Bush provoque un redéploiement massif des troupes américaines vers le théâtre irakien au détriment du théâtre afghan. Cette stratégie prive l’OTAN des moyens militaires nécessaires pour vaincre les dernières résistances talibanes et permet à celles-ci de se réorganiser et de se réimplanter au sud du pays.
Le 2 mai 2011 Oussama Ben Laden est tué ce qui est fêté comme une grande victoire aux Etats-unis mais cela ne met pas fin à l’occupation de l’Afghanistan et « la guerre contre le terrorisme » continue .
Période 2014 – 2021 Retrait progressif des Américains
Le 31 décembre 2014, l’OTAN met fin à son engagement après treize ans de guerre et passe le relais à l’armée nationale afghane forte, paraît-il, de 300 000 hommes. Mais, en réalité de nombreux soldats afghans désertent, le pouvoir manque de légitimité, la corruption sévit à tous les niveaux…Les États-Unis restent jusqu’en 2021, ils y dépensent des centaines de milliards de dollars en pure perte.
Dès février 2020, à Doha , Donald Trump entreprend des négociations avec les Talibans pour organiser le retrait des soldats américains. Pendant sa campagne électorale, Joe Biden promet le retour des « boys » et quelques mois plus tard il déclare prendre la bonne décision : « Soit suivre l’engagement pris par la précédente administration et quitter l’Afghanistan, soit dire que nous ne partirons pas et renvoyer des dizaines de milliers de soldats à la guerre. » Il fixe le retrait au 11 septembre 2021, date du 20 ème anniversaire de l’attaque des Tours jumelles et du Pentagone. Dès le mois de mai, commencent les premiers départs et le 2 juillet 2021 l’ensemble des troupes américaines et étrangères quitte la base aérienne de Bagram, la plus grande d'Afghanistan, située à 50 km de Kaboul. C’est de là que partaient les frappes aériennes contre les Talibans et leurs alliés d’Al-Quaïda et là qu’étaient réceptionnées les provisions en armes et nourriture. La base de Bagram est alors remise à l'armée afghane qui ne va la conserver qu’une dizaine de jours avant l’arrivée des Talibans...
Devant la progression rapide des Talibans la Maison Blanche avance la date de départ et la fixe au 31 août mais Kaboul tombe le 15 août, beaucoup plus tôt que prévu !
La vitesse avec laquelle s’est effondré le régime fantoche et corrompu mis en place par Washington, avec une armée qui s'est évaporée en quelques heures a surpris tout le monde. Le président Ashraf Ghani a fui à l'étranger abandonnant son peuple à son sort et laissant les Talibans maîtres des lieux de pouvoir.
Des milliers d’habitants de Kaboul se ruent à l’aéroport pour fuir au plus vite, c’est un chaos épouvantable !
La fuite des Américains est comparée au désastreux départ de Saïgon en 1975.
Bilan politique de cette guerre
Selon l’émissaire spécial chinois pour l’Afghanistan, le diplomate Yue Xiaoyong, les États-Unis et l’Otan sont responsables, selon lui, de «la situation désastreuse et du chaos en Afghanistan». « Les États- Unis doivent comprendre que le recours à la force, l’action militaire et l’ingérence dans les affaires des autres pays ne font qu’aggraver la situation ». Ce désastre humain et financier laisse un pays encore plus mal en point qu’il ne l’était auparavant, sauf pour les femmes, dont le sort s’est amélioré — au moins dans les villes, mais qu’en sera-t-il avec le retour des Talibans ?
Cependant, les Talibans sont dans une véritable quête de respectabilité car ils désirent être reconnus sur la scène internationale. Ils devraient donc s’abstenir de diffuser des images de femmes fouettées ou exécutées en public, comme cela avait été le cas il y a deux décennies... En dépit de leur victoire totale, ils devraient être plus sensibles à la pression internationale que jadis mais l’ordre qu’ils feront respecter n’en sera pas moins extrêmement patriarcal et autoritaire. Ils viennent d’annoncer que les femmes pourront aller à l’université mais dans des conditions particulièrement strictes : tenues vestimentaires imposées, non-mixité des cours, etc.
La guerre contre le terrorisme est une guerre sans fin : celle de l’Afghanistan fut la première, suivie de l’ Irak ( 2003), de la Syrie ( 2011) de la Libye (2011), de la Somalie ( 2020)….Peut-on combattre le terrorisme par la terreur et imposer la démocratie par les canons et à grand renfort de dollars ?
Notes
(1) Un moudjahidin ( définition du dictionnaire ) :
C’est un combattant d’une armée islamiste ; il fait le djihad c’est-à-dire la guerre sainte pour défendre et propager l’islam dans le monde.
(2) Taliban
Le mouvement taliban est né en 1994 dans le sud du pays, dans le contexte de la guerre civile à la suite du retrait soviétique. Il est lancé par des membres du clergé islamique, qui affirment se mobiliser contre les atrocités et les abus provoqués par cette guerre, en se présentant comme le parti de l’ordre et de la loi. Les talibans étaient au départ des afghans étudiants, religieux, réfugiés au Pakistan.
(3) La charia : C'est un ensemble de règles, d'interdits et de sanctions issus de la tradition et de la jurisprudence mais très diversement interprété et appliqué, selon les pays qui s’y réfèrent.
(4) L’Afghanistan est un carrefour entre l’Asie, l’Europe et le Moyen-Orient ; cette position stratégique suscite bien des convoitises et des tensions ( passage de pipelines, « routes de la soie » etc ). De plus, le pays regorge de gisements stratégiques, sur lesquels lorgnent les Russes, les Chinois, les Turcs et les Etatsuniens : cuivre, terres rares, lithium, bauxite….