La Russie va-t-elle envahir l'Ukraine ?

Publié le par MS21

Il est surprenant de voir tant de monde s'indigner de la présence de l'armée russe en Russie et ne se poser absolument aucune question concernant la présence de l'armée américaine en Europe, au Japon, au Moyen Orient, en Australie, en Corée du Sud, en Amérique centrale et du Sud …

Il est surprenant de voir tant de monde s'indigner de la présence de l'armée russe en Russie et ne se poser absolument aucune question concernant la présence de l'armée américaine en Europe, au Japon, au Moyen Orient, en Australie, en Corée du Sud, en Amérique centrale et du Sud …

La Russie va-t-elle envahir l’Ukraine ?

Cette question est répétée ad nauseam tous les jours, dans tous les bulletins d’informations depuis des semaines. Ainsi, le 23 janvier sur France 2, dans l’émission « 20h30 le dimanche », Laurent Delahousse reçoit l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse. A deux reprises, ce journaliste insiste et affirme que Vladimir Poutine menace d’envahir l’Ukraine. A chaque fois, Hélène Carrère d’Encausse réplique fermement que Poutine est intelligent et qu’il n’envahira pas l’Ukraine car cela déclencherait une guerre nucléaire. Elle rappelle ce qui s’est passé après la chute du mur de Berlin en 1989 : Gorbatchev a accepté la réunion de l’Allemagne en échange d’une promesse que l’OTAN n’approcherait pas des frontières de la Russie. Cette dame, loin d’être une amie de Vladimir Poutine, donne une bonne leçon de géopolitique à ce journaliste.

Le problème ukrainien est-il causé par les ambitions impérialistes du gouvernement Poutine ?

L’actuelle crise entre l’Ukraine et la Russie a commencé en novembre 2013, quand Bruxelles et Washington ont proposé au gouvernement de Kiev de s’intégrer à l’Union européenne. C’est ce qui a provoqué une réponse hostile de la Russie. Ce n’est donc pas Poutine qui, pour satisfaire un projet impérialiste, a tenté d’incorporer l’Ukraine ou une partie de l’Ukraine à la République de Russie. Il n’a fait que réagir à la proposition de Bruxelles et ce n’est pas le gouvernement russe qui a initié les tensions.

Mais les racines de cette crise sont plus anciennes...

De la « Révolution orange » à l’«EuroMaïdan »

Après l’effondrement de l’URSS en 1991, l’Ukraine prend son indépendance. L’Ukraine est un pays qui est loin d’être uniforme. Il existe de grandes différences entre l’Ouest et l’Est : différences religieuses, linguistiques, ethniques, culturelles, économiques et politiques qui ont donné lieu à de nombreuses tensions en fonction des  groupes politiques au pouvoir. L’Est et le Sud sont très proches de la Russie car ils ont fait partie de ce pays pendant une longue période. En 2004 éclate la « Révolution orange » : un mouvement pacifiste, de protestation populaire pro-occidental, largement soutenu par des organisations étrangères, principalement nord-américaines. Les conséquences de ce mouvement sont  la chute du Président pro-russe Viktor Ianoukovytch et la tenue de nouvelles élections en 2005 qui vont amener Viktor Iouchtchenko au pouvoir. Sitôt élu, celui-ci se rapproche de l’Union européenne et de l’OTAN et signe des accords de libre-échange. Mais ne parvenant pas à résoudre les problèmes économiques et sociaux, il est éliminé dès le premier tour de l’élection suivante en 2010 : il est battu par Viktor Ianoukovytch celui qui avait été conspué par les activistes de la Révolution orange ! En moins de six ans les Ukrainiens auraient donc compris où sont leurs intérêts…?

[Après sa déroute électorale ( où il a obtienu 5% des voix), M. Iouchtchenko a lancé une véritable bombe dans l'arène politique en honorant Stepan Bandera, le nationaliste ukrainien et collaborateur des nazis, comme un " Héros de l'Ukraine ". Et depuis 2015, chaque année, le 1er janvier à la nuit tombée, des centaines de personnes se rassemblent pour une procession aux flambeaux dans les rues de Kiev, en l'honneur de la naissance de ce leader de l'Organisation des nationalistes ukrainiens dans les années 1930-1950. Stepan Bandera reste un personnage controversé en Ukraine : célébré comme un héros national par beaucoup, il est honni par les rebelles pro-russes de l'est du pays qui, à l'instar de Moscou, le considèrent comme un collaborateur nazi.]

Le Président Ianoukovytch signe les accords de Kharkov qui prolongent l'utilisation par les Russes de la base navale de Sébastopol en échange de rabais importants sur le prix du gaz russe. Mais en novembre 2013 sa décision de suspendre l’accord d’association avec l’UE provoque son renversement par le mouvement « EuroMaïdan ». De nombreux spécialistes pensent que cet accord était néfaste pour l’économie de l’Ukraine et que cette décision de ne pas signer était la bonne.

L’Euro Maïdan

Suite à cette décision, apparaissent des manifestations en faveur d’un rapprochement avec l’Europe, composées principalement d'étudiants qui se rassemblent à Kiev sur la place de l’Indépendance (Maïdan en ukrainien). Mais ces manifestations sont rapidement infiltrées, entretenues puis dirigées par les partis d’extrême droite et soutenues par Washington. Le sénateur républicain John Mc Cain et son homologue démocrate Chris Murphy prennent la parole devant les manifestants et rencontrent les chefs de l'opposition, y compris le chef du parti Svoboda (1). « Nous sommes ici pour soutenir votre juste cause, le droit souverain de l'Ukraine à choisir son propre destin librement et en toute indépendance. Et le destin que vous souhaitez se trouve en Europe » a déclaré Mc Cain le 14 décembre 2013. Le 15 décembre jusqu'à 200 000 manifestants pro-européens seraient descendus dans les rues de Kiev. Les manifestations, marquées par des violences et des affrontements avec la police, se sont étendues à certaines provinces et se sont poursuivies jusqu’au 21 février 2014 et le soir même, le président Ianoukovytch a fui Kiev et est parti en Russie. Il est destitué par la Rada ( le parlement) et un gouvernement de transition est mis en place où  entrent des militants de l’extrême-droite ukrainienne, ultranationaliste fasciste et néo-nazie.

La décision du nouveau gouvernement de supprimer le russe comme langue officielle provoque de très fortes tensions au sein de la population entre pro-russes majoritaires dans l’Est du pays et pro-gouvernement : villages mis à feu et à sang, militants brûlés vifs à la Maison des Syndicats d’Odessa (2) , civils sans armes massacrés à Mariupol, population bombardée au phosphore blanc à Donetsk et Lugansk, deux villes du Donbass.

Les agressions cessent et la paix est rétablie par les accords de Minsk. Ces accords, signés en septembre 2014, donnent l’occasion à la France et à l’Allemagne de reprendre la main afin de trouver une solution négociée aux hostilités dans le Donbass. Mais, sept ans plus tard, le processus s’est enlisé. Kiev continue de refuser l’octroi d’une autonomie au Donbass, comme le prévoit le texte.

Donbass et Crimée font sécession

Les séparatistes russophones ne reconnaissent pas le nouveau gouvernement de Kiev et proclament la République populaire de Donetsk et la République populaire de Lougansk. Les habitants de ces deux républiques populaires vivent sous les tirs et bombardements sporadiques de l’armée ukrainienne. Le 11 mai 2014 un référendum est organisé dans la République de Donetsk demandant : « Êtes-vous favorable à l'autonomie de la République populaire de Donetsk ? » - mais ce référendum ne sera reconnu ni par la Russie ni par l’UE ni par les Etats-Unis -. Malgré cela, les dirigeants de la nouvelle « République de Donetsk » demandent dès le lendemain 12 mai, le rattachement à la Russie. Une autre conséquence de l’EuroMaïdan est la séparation de la Crimée qui ne reconnaît pas non plus le nouveau pouvoir de Kiev. Le 11 mars 2014, le Parlement de Crimée adopte une déclaration d'indépendance par 78 voix sur 81. Le 16 mars, la Crimée vote le rattachement à la Russie par référendum. La version selon laquelle ce serait la Russie qui aurait annexé par la force la Crimée est mensongère : ce sont les Russes de Crimée qui ont décidé par un référendum de se détacher de l’Ukraine et de rentrer en Russie pour éviter d’être attaqués, comme les Russes du Donbass, par les bataillons néo-nazis de Kiev.

Le MS21 a publié le 10 juillet 2018 (3) un extrait du communiqué de presse écrit par Jacques Myard relatant le voyage qu’il a effectué en Crimée avec sept députés et un sénateur en juillet 2015 : « Les sanctions contre la Russie pour le retour de la Crimée sont absurdes. Le rattachement en 1954 à l'Ukraine était une décision administrative au sein de l'URSS. La Crimée est russe depuis plus de deux siècles. Depuis 1991 - date de la chute de l'URSS - la population a toujours manifesté sa volonté de rejoindre la Russie, ce qu'elle a exprimé par référendum en 2014 ».

Un retour de la « guerre froide » ?

La tension ne cesse de monter depuis novembre 2021. L’OTAN parvient à faire passer une concentration de troupes russes prêtes à venir secourir les Ukrainiens russophones du Donbass,  pour une « invasion russe imminente » de l’Ukraine tout entière ! Aucun char russe ne foule le territoire ukrainien, et Moscou a toujours recommandé, pour résoudre la crise interne, une solution négociée de type fédéral ménageant les intérêts des différentes composantes du peuple ukrainien. Enfin, si l'armée russe se trouve "aux frontières de l'Ukraine", elle est en...Russie !. La Russie a-t-elle besoin d’agrandir son territoire par de nouvelles conquêtes? L’Ukraine est un État failli, à l’économie effondrée, où des organisations néonazies font la pluie et le beau temps. Le Kremlin a rejeté à plusieurs reprises ces allégations d’invasion et malgré cela, l’OTAN continue de rassembler des forces en Europe de l’Est, dans les pays Baltes et en Mer Noire. Les Etats-Unis ont placé plus de 8.000 soldats en état d'alerte, la France envisage l’envoi de soldats en Roumanie.

« L’Otan ne cesse de franchir des lignes rouges vis-à-vis de la Russie, a déclaré Vladimir Poutine en pointant le survol régulier d’avions de l’Alliance transatlantique et le renforcement de sa présence tout près des frontières russes.»

A priori, ni Poutine, ni l’état-major russe, ni le peuple  ne veulent la guerre en Ukraine. Au-delà de la question du Donbass, ce qu’ils veulent, c’est que l’OTAN arrête sa progression vers l’Est : la perspective de voir des missiles installés en Ukraine à sept minutes de vol de Moscou est intolérable pour la Russie.

On remarquera que deux personnalités d’opinion  opposée , font la même constatation : Tucker Carlson un journaliste américain, conservateur, anti-communiste, a pointé l'existence d'une volonté américaine de longue date d'intégrer l'Ukraine au sein de l'OTAN qu'il a considéré comme le principal facteur de tension dans la région. « Imaginez que le Mexique tombe sous le contrôle militaire direct de la Chine, nous le considérerions comme une menace, bien sûr [...]. C'est comme ça que la Russie voit un contrôle de l'Ukraine par l'OTAN », a notamment estimé le journaliste de Fox News. Régis de Castelnau, proche des idées communistes,  a écrit : « Imaginons la Russie passant un accord militaire avec le Mexique et installant des bases de missiles à la frontière du Texas. A-t-on oublié que Kennedy fut prêt à déclencher une guerre nucléaire si les Soviétiques installaient des missiles à Cuba ? ». (3)

Les Etats-Unis n’ont pas tenu parole

Washington poursuit l’encerclement de la Russie en étendant systématiquement le périmètre de l’OTAN à ses frontières. Or cette politique viole l’engagement pris auprès de Mikhaïl Gorbatchev, lequel accepta la réunification de l’Allemagne en échange d’une promesse de non-extension de l’Alliance atlantique vers l’Est européen. Malheureusement ce fut une promesse orale, ne figurant pas dans le  traité final signé à Moscou le 12 septembre 1990,  et aujourd’hui les Etats-Unis contestent l’existence de cet engagement. De plus, ils mettent en avant l’argument selon lequel les ex-républiques populaires sont des pays indépendants et peuvent signer des alliances militaires avec qui ils veulent et même adhérer à l’ OTAN.  Pourtant, George F. Kennan (5), a dénoncé dès 1997 l’élargissement de l’OTAN comme « la plus fatale erreur de politique américaine depuis la guerre ». Cette décision, dit-il, « va porter préjudice au développement de la démocratie russe, en rétablissant l’atmosphère de la guerre froide (…). Les Russes n’auront d’autre choix que d’interpréter l’expansion de l’OTAN comme une action militaire…»

L’OTAN a perdu sa raison d’être (6)

Avec l'effondrement de l'URSS et la dissolution du Pacte de Varsovie en 1991, l’OTAN aurait dû aussi disparaître. Organisation défensive au départ, avec l’objectif de «contenir le communisme », elle devient au fil des ans une organisation militaire offensive, prompte à intervenir partout sur la planète. Pour ce faire, elle renforce ses structures politiques et militaires. Aujourd’hui elle entretient environ 750 bases sur tous les continents et dès 1954 le Pentagone a entreposé des armes nucléaires dans plusieurs pays européens - en particulier en RFA et en Turquie. L'OTAN, dont le commandement général est étasunien, est entièrement au service des Etats-Unis qui se prétendent institution mondiale, « gendarme du monde » et s'affranchissent des résolutions de l'ONU.

Le dessous des cartes 

Cette crise politique dégage une forte odeur de gaz, de gaz russe et de gaz de schiste étatsunien ! L’Allemagne a privilégié le gaz russe car il est bon marché et les infrastructures (gazoducs) sont moins lourdes que le transport maritime donc l’Europe importe une grande quantité de gaz russe transporté par le gazoduc Nord Stream 1. Pour augmenter ses ventes, la Russie veut doubler ce premier gazoduc par le Nord stream 2 dont la construction  commencée en 2018 s’est achevée en septembre 2021, après plusieurs interruptions dues à l’opposition des Etats-Unis. Pourquoi cette opposition ? Avec leur gaz de schiste, les Etats-Unis sont devenus exportateurs de gaz et voient d’un mauvais œil une grande partie du  marché européen leur  échapper, or ce marché est vital pour l’économie de la Russie, vital aussi pour les pays européens comme l’Allemagne et la France.

Négociations, recherche d’une solution pacifique

De nombreuses rencontres et de nombreux entretiens téléphoniques ont eu lieu et ont encore lieu entre les divers dirigeants : Biden/Poutine,  OTAN / Poutine, Poutine/ Macron….La première rencontre eut lieu à Genève le 16 juin 2021 entre  Jo Biden et V. Poutine.

Le 17 décembre 2021, Moscou publie deux projets de traité visant à refonder la sécurité collective en Europe. Le Kremlin demande notamment des garanties écrites sur la non-extension de l’OTAN à l’est, le retrait des forces américaines des pays devenus membres de l’Alliance atlantique après 1997 et l’interdiction de toute coopération militaire avec les pays de l’ex-URSS non membres de l’OTAN(7). Les Etats-Unis rejettent ce projet. 

Paris doit éviter l’engrenage militaire dans lequel les États-Unis et l’OTAN veulent l’entraîner. E. Macron qui s’est déjà entretenu deux fois avec le Président russe pense pouvoir jouer le rôle de médiateur dans ce dossier : il prône la désescalade. Le 4 février 2022, il s’est rendu à Moscou, le lendemain à Kiev puis à Berlin. Afin de mettre un terme à cette dangereuse situation, le Président Macron devrait déclarer solennellement au nom de la France que son pays s’opposera à toute demande de l’Ukraine d’adhésion à l’Otan. 

Notes :

(1) Svoboda est un parti ukrainien nationaliste, classé à l’extrême droite, fondé en 1991sous le nom de Parti social-national d'Ukraine

(2) Un témoignage à lire : https://ms21.over-blog.com/2016/06/que-se-passe-t-il-en-ukraine.html

(3)Lire sur le blog du MS21 https://ms21.over-blog.com/2018/07/pourquoi-une-telle-diabolisation-de-vladimir-poutjne.html

(4) En 1962, la « crise des missiles » a opposé les Etats-Unis et l’URSS et mené les deux blocs au bord de la guerre nucléaire. Elle s’est soldée par un retrait des missiles soviétiques installés à Cuba en échange d'un retrait de certains missiles nucléaires américains de Turquie et d’Italie, ainsi que par une promesse des Etats-Unis de ne plus jamais envahir Cuba (après la tentative avortée de 1961 à la Baie des Cochons ).

(5) George F.  Kennan : diplomate, politologue, et historien américain,  dont les idées ont une forte influence sur la politique des États-Unis envers l’Union soviétique. 

(6) Lire l’article du MS21   https://ms21.over-blog.com/2016/10/l-otan.html

(7) En effet, le 17 mai 1997 était signé à Paris un accord de coopération et de partenariat, l’Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelle entre l’OTAN et la Fédération de Russie.  Il garantissait à Moscou que les Occidentaux n’installeraient pas de nouvelles infrastructures militaires permanentes.

Sources :

Le Monde diplomatique, septembre 2018

Marianne : Tribune Par Hervé Hannoun et Peter Dittus, publié le 11/02/2022 à 11:21

Investig'action : Pourquoi l’Ukraine intéresse tant les Etats-Unis, publié le 8/02/2022 

Les Crises, N° du 21 décembre 2021


 

 


 

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