Accords de libre-échange UE-NZ
QUI VEUT LA PEAU DE L'AGRICULTURE FRANCAISE ? UN NOUVEL ACCORD DE LIBRE-ECHANGE EST EN DISCUSSION AVEC LA NOUVELLE-ZELANDE
Le MS21 a déjà publié plusieurs textes sur le libre-échange afin d’en dénoncer tous les effets nocifs et a interpellé les députés afin qu’ils refusent de ratifier le CETA ( juillet 2019) .
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Vidéo : les méfaits du libre-échange
Un nouvel accord de libre-échange est en discussion entre l'UE et la Nouvelle-Zélande. Les négociations sur cet accord ont été conclues le 30 juin 2022, les discussions ayant commencé en 2018. L'UE espère une augmentation de 30% des échanges avec la Nouvelle-Zélande. Dans ce pays, le secteur agricole représente 80 % de ses exportations pour un total annuel de 28 milliards d'euros (produits laitiers, viandes, fruits et vins). L'Europe est le troisième partenaire commercial de la Nouvelle-Zélande, derrière la Chine et l'Australie. La Nouvelle-Zélande accroîtrait ses exportations vers l'UE en échange de l'exportation facilitée de services de l'UE (finances, télécoms, transport maritime) vers la Nouvelle-Zélande, celle-ci reconnaîtrait aussi nos appellations d'origine contrôlée. Mais, il faut savoir que la Nouvelle-Zélande n'applique déjà plus de droits de douane sur les importations de la plupart de ses produits (seuls quelques produits agricoles sont soumis à des droits de douane de 5 %) !
Ce nouvel accord de libre-échange serait un nouveau clou planté dans le cercueil des ambitions proclamées de l'UE en matière environnementale et sociale. L'exportation de produits agricoles sur 19 000 km est déjà une hérésie écologique en soi ! Par ailleurs, la Nouvelle-Zélande utilise des herbicides (tel que l'atrazine) interdits dans l'UE et leurs bovins sont nourris à l'huile de palme... L'UE et Emmanuel Macron se sont engagés à imposer des "clauses miroirs" dans ces accords : les produits importés devraient respecter nos normes sanitaires. Mais ces négociations n'ont pas encore abouti...
L'UE ne pourra pas exporter beaucoup plus de produits industriels en Nouvelle-Zélande qui a déjà conclu des accords de libre-échange avec plusieurs pays de la zone Asie-Pacifique (Chine, Hong-Kong, Singapour et Taïwan). Le but véritable de cet accord pourrait être plutôt d'ordre géopolitique : contrecarrer le développement de la Chine dans cette zone.
L'UE justifie la poursuite des politiques de libre-échange
La Commission Européenne défend bec et ongles cet énième accord de libre-échange : "L’UE vise avant tout à protéger les agriculteurs et les consommateurs européens. Ainsi, l'accord conclu avec la Nouvelle-Zélande tient compte des intérêts des producteurs de produits agricoles sensibles de l'UE : plusieurs produits laitiers, viande bovine et ovine, éthanol et maïs doux. Pour ces secteurs, l'accord n'autorisera les importations à des taux de droit zéro ou réduits en provenance de Nouvelle-Zélande que pour des quantités limitées (au moyen de contingents tarifaires). Concrètement, cela signifie que ces produits n'auront qu'un accès limité et contrôlé aux marchés européens. Les différents quotas pour ces produits seront soigneusement calibrés pour tenir compte des préoccupations des agriculteurs européens et des préférences des consommateurs."
" les quotas d'exportations exemptés de droits de douane dont bénéficie la Nouvelle-Zélande grâce à l’OMC restent largement non remplis. Les importations de viande ovine en provenance de la Nouvelle-Zélande continueront donc d’être principalement régies par les quotas de l’OMC. Ainsi, il n’y a aucune raison de s’attendre à une augmentation significative des importations de viande ovine sur le marché européen du fait de ce nouvel accord commercial. Les producteurs européens ne sont pas menacés !"
"Pour la toute première fois dans le cadre d'un accord commercial de l'UE, celui avec la Nouvelle-Zélande comporte également un chapitre consacré aux systèmes alimentaires durables. Il renforcera la coopération sur l'utilisation efficace des ressources naturelles et des intrants agricoles, y compris la réduction de l'utilisation et des risques des pesticides et engrais chimiques, le cas échéant. Loin d’autoriser l’entrée sur son marché des produits qui ne respectent pas la législation européenne en matière de pesticides, l'UE conserve son droit de fixer des niveaux maximaux de résidus de pesticides, de médicaments vétérinaires ou de contaminants, qui s'applique également aux importations. L’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande ne changera rien. Les agriculteurs des deux côtés seront sur un pied d'égalité en ce qui concerne les critères de production et de durabilité !"(1)
La procédure de validation du traité
La Commission précise : "Les projets de textes négociés seront publiés sous peu et traduits dans toutes les langues officielles de l'UE. Ensuite, la Commission européenne soumettra l'accord au Conseil (qui regroupe les Etats membres) pour signature et conclusion. Une fois l'accord adopté par le Conseil, l'UE et la Nouvelle-Zélande pourront le signer. Après la signature, le texte sera transmis au Parlement européen pour approbation. Après approbation par le Parlement, et une fois que la Nouvelle-Zélande l'aura également ratifié, l'accord pourra entrer en vigueur."(2)
Les Parlementaires européens doivent approuver ou rejeter le texte en bloc sans pouvoir y apporter d'amendements. En principe, les Parlementaires français ne pourront pas voter sur ce texte, sauf s'il relevait d'un accord de "compétence mixte" entre l'UE et les Etats membres et non pas d'une "compétence exclusive" de l'UE. Ce point devrait être éclairci lors de la présentation au Conseil.
Le contenu précis de l'accord est pour l'instant encore secret. Quelques grandes lignes en ont été dévoilées le 30 juin par la Commission : "Dans un communiqué spécifique aux questions agricoles, elle confirme qu’« en vertu de cet accord, l’Union européenne autorisera l’importation d’un contingent tarifaire de 10 000 tonnes [de viande bovine] avec un droit réduit de 7,5 %», et de « 38 000 tonnes [de viande ovine] en exonération de droits ». Elle précise que ces volumes seront atteints progressivement sur sept ans à partir de l’entrée en vigueur de l’accord, et estime que les 10 000 tonnes de viande de bœuf représentent un « volume modeste », qui ne concernera que de la viande de haute qualité néo-zélandaise, afin de ne pas heurter la sensibilité du milieu du secteur du bœuf européen."(3)
Les réactions au Parlement français
Le 20 juillet 2022, au Sénat, le sénateur LR Laurent Duplomb interpellait le gouvernement sur cet accord : « En nous vantant les bienfaits des clauses miroirs, en rebaptisant le ministère de l’Agriculture en ministère de la Souveraineté alimentaire… Comment pouvez-vous, en même temps, ne pas vous opposer aux accords de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande ? ». La ministre des Affaires Etrangères Catherine Colonna ne voit pas la contradiction et assume l'accord qu'elle trouve ambitieux et protecteur de l'agriculture française. Malheureusement, la procédure ne prévoit pas que le texte soit ratifié par les Parlements nationaux, semble-t-il (ce point reste à éclaircir cf chapitre précédent). Vraisemblablement, seuls le Conseil de l'UE et le Parlement Européen auront leur mot à dire dans l'affaire. Les parlementaires s'insurgent contre ce déni de démocratie : la présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, Sophie Primas (LR) et le sénateur communiste Fabien Gay ont interpellé respectivement le gouvernement et le ministère de l'Agriculture en vue d'obtenir un débat parlementaire. Dans la foulée, près de 130 députés de différents bords politiques ont demandé à la présidente de l’Assemblée nationale un débat suivi d’un vote sur l’accord.
Dans le même ordre d'idées, le projet de loi de ratification du CETA (accord avec le Canada), adopté par l'Assemblée en 2019, n'a toujours pas pu être examiné par le Sénat (mais depuis le 21 septembre 2017 il est entré en application provisoire ).
Le gouvernement semble peu disposé à s'opposer à l'accord. Franck Riester, le précédent ministre du Commerce extérieur, a déclaré au Monde : « Nous évaluerons le projet d’accord en détail en vue de sa présentation au Conseil de l’UE, vraisemblablement en 2023, de manière à vérifier que nos intérêts ont bien été pris en compte. » Il met en avant « l’inclusion de l’accord de Paris comme élément essentiel » et l’existence de « protections pour nos filières agricoles sensibles » dans le texte (4). Emmanuel Macron est évidemment favorable à la signature de nouveaux accords de libre-échange : « Je ne crois pas que l’avenir de l’Union européenne soit dans la fermeture et l’absence d’accords commerciaux nouveaux. (...) les accords à venir doivent être cohérents avec le modèle social que défend l’Europe, avec des engagements environnementaux et sanitaires » (5)
Les réactions politiques et syndicales
Les fédérations professionnelles agricoles sont toutes vent debout contre ce projet d'accord.
Même la FNSEA critique l'accord : « La Nouvelle-Zélande continue à utiliser des produits tels que l'atrazine interdits en Europe. Il est indispensable que l'UE applique la réciprocité des normes, et que par des contrôles robustes aux frontières, le chapitre de l'accord dédié au développement durable ne soit pas qu'un miroir aux alouettes ! ». L'INTERBEV (interprofessionnelle du bétail et des viandes) et le CNIEL (interprofession laitière) dénoncent "l'arrivée de plusieurs milliers de tonnes de produits laitiers, viandes ovines et bovines depuis l'autre bout du monde, sans exigence de respect de nos normes de production". Pour le directeur général de la Fédération nationale des industries laitières (FNIL) François-Xavier Huard, l'accord est une "aberration environnementale", puisqu'un yaourt « pourra faire 20.000 kilomètres » avant d'arriver chez nous, l'accord « risque de porter un coup fatal à la filière laitière qui n'en demande pas tant ».
Dans les milieux militants, la mobilisation est lancée contre l'accord.
Via Campesina, syndicat mondial de paysans proclame : « Le commerce agricole devrait être considéré comme un secteur sensible et traité séparément du commerce des autres produits de base. La priorité devrait être la construction de mécanismes de régulation des marchés qui permettent aux agriculteurs et agricultrices du monde entier d’obtenir un revenu équitable pour approvisionner les systèmes alimentaires locaux durables.(...) l’UE devrait plutôt s’engager au niveau international pour promouvoir un nouveau cadre multilatéral mondial du commerce, basé sur les principes de la souveraineté alimentaire des peuples» (6)
Réaction de François Ruffin, toujours offensif sur ce genre de dossier : "De la viande, ovine, bovine, du lait, du fromage, vont traverser les océans, faire 19.167 kilomètres en navire au gasoil détaxé… nos éleveurs sont mis en concurrence avec un pays où l’atrazine, pesticide notoire, interdit chez nous depuis 2003, qui pollue les rivières et les sols pour des générations, un pays où donc l’atrazine (parmi d’autres délices) est autorisée… bref, malgré les discours du Président Macron sur « déléguer notre alimentation, notre protection à d’autres est une folie », malgré ses promesses d’intégrer les « clauses miroirs » – c’est-à-dire une égalité dans les normes sociales, environnementales, à ces traités -, malgré les mots sur l’ « après », le grand déménagement du monde se poursuit… et ça ne suscite, jusqu’ici, guère de curiosité, encore moins d’émoi, chez les journalistes : est-ce là le monde, et la mondialisation que nous voulons, que les Français veulent ?"(7)
Arrêter le grand déménagement du monde
La frénésie libre-échangiste n'est pas près de s'arrêter malgré les beaux discours sur l'environnement et la souveraineté : un accord est envisagé prochainement avec le Chili. Les traités déjà conclus avec le Mexique et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) ne sont certes pas encore ratifiés, mais le train est en marche. Il est clair, que les capitalistes ne renonceront pas d'eux-mêmes aux avantages considérables que leur procure une économie mondialisée : une production à bas coût et sans contraintes environnementales et sociales et une pression mise sur le salariat dans les pays développés afin de le "rediscipliner".
Il est donc plus que jamais nécessaire de poursuivre la lutte en vue d'une rupture avec les institutions libre-échangistes, en particulier l'UE. Cela passera par la mise en place de certaines formes de protectionnismes (protections tarifaires ou quotas d'importations), ainsi que par la redéfinition de nos rapports économiques avec les pays du sud (et de l'Europe de l'est).
Sources
(1) (2) https://france.representation.ec.europa.eu/informations/le-nouvel-accord-de-libre-echange-avec-la-nouvelle-zelande-est-une-catastrophe-pour-le-climat-et-2022-07-11_fr
(3) https://www.liberation.fr/dossier/presidence-francaise-de-lunion-europeenne/Les réactions au Parlement français
(4) https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/07/01/l-union-europeenne-et-la-nouvelle-zelande-signent-un-accord-de-libre-echange-tres-politique_6132890_3234.html
(5) https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/macron-favorable-un-accord-commercial-avec-la-nouvelle-zelande-5701173https:
(6) https://www.eurovia.org/fr/nouvelle-zelande-et-ue-un-autre-accord-de-libre-echange-contre-les-agriculteur-trice-s-europeen-ne-s/
(7) https://francoisruffin.fr/checknews-accord-nouvelle-zelande/