Regard politique sur le Chili

Publié le par MS21

La Moneda, siège de la Présidence du Chili

La Moneda, siège de la Présidence du Chili

Le Chili, situé dans le cône sud du continent américain, se distingue des autres pays latino-américains. par son histoire, sa géographie, sa culture (1). Longue bande de terre de plus de 4300 km et d’une largeur moyenne de 180 km, on y trouve tous les types de climats : chaud et sec au nord dans le désert d’Atacama, froid et humide au sud en Patagonie, plus tempéré au centre, glacial dans la Cordillère des Andes qui couvre 64% du territoire. Un habitant de la capitale Santiago, peut aller skier à Valle Nevado (1h de route) et le soir même se promener sur une plage autour de Valparaiso (120 km). Situé à la limite entre deux plaques tectoniques, le Chili est secoué par de faibles séismes ( tremblores) presque chaque jour mais le terremoto du 27 février 2010 reste dans toutes les mémoires : un séisme d’une magnitude supérieure à 8 sur l’échelle de Richter, suivi d’un tsunami, fit 525 morts, 800 000 sinistrés et des dégâts matériels considérables.

Colonisé par les Espagnols comme tous les autres pays du sous-continent à l’exception du Brésil colonisé par les Portugais, les créoles (2) du Chili entrent en rébellion le 18 septembre 1810 contre la tutelle de Madrid et forment un gouvernement autonome. Mais l’indépendance n’est effective et proclamée que le 12 février 1818 après plusieurs années de lutte armée.

Le Chili a souvent été loué pour sa stabilité politique n’ayant connu que trois « golpe »(3) dont deux insignifiants : le 4 juin 1932, suite à un coup d’État, la République socialiste du Chili est proclamée mais elle est renversée 13 jours plus tard, le 16 juin, par un groupe d’officiers de la garnison de Santiago. Par contre, le 11 septembre 1973 le sanglant coup d’État mené par une junte militaire avec l’appui des États-Unis, provoque la chute et le suicide du Président élu Salvador Allende. La répression des membres de son parti l’Union Populaire (UP) et des militants de gauche est terrible : des milliers de morts, de disparus et d’exilés.

          La dictature militaire va durer 17 ans

Après le 11 septembre 1973 le Chili est gouverné par la junte militaire dont les dirigeants sont les chefs de l’armée de terre, de la marine, de l’aviation, de la gendarmerie. Le général Pinochet est nommé Président de la junte puis plus tard Président de la République. La junte s’accorde les pleins pouvoirs en matière exécutive, législative et constitutionnelle. Ses premières mesures consistent à suspendre la constitution chilienne et le Parlement, supprimer la liberté de la presse, dissoudre les partis politiques de gauche qui avaient participé à la coalition d'Unité populaire, interdire les syndicats...

Une nouvelle constitution remplace celle de 1925 et est approuvée par référendum le 11 septembre 1980. Elle est toujours en vigueur aujourd’hui bien qu’ayant subi de nombreux amendements en particulier ceux apportés par la réforme de 2005. Finalement, le général Augusto Pinochet reste au pouvoir pendant 17 ans (1973-1990).

           Le Chili , un laboratoire

Le pays a constitué un laboratoire pour la mise au point des stratégies de déstabilisation de régimes constitutionnels menées par l’Empire nord-américain.

Dès l’arrivée au pouvoir de l’Union Populaire ( UP), un plan inspiré par la CIA, financé par les Etats-Unis et organisé par la droite chilienne s’est donné pour but la destruction de la tentative socialiste du Président Salvador Allende. Ce plan s’est construit patiemment pendant les trois ans (1970-1973) de pouvoir de l’UP : financer les groupes d’opposition en commençant par les jeunes étudiants « épris de liberté », soutenir les médias hostiles qui vont décrédibiliser le socialisme démocratique, payer les saboteurs de l’économie – c’est ainsi que les camionneurs chiliens ont pu faire une très longue grève paralysant ainsi toute l’activité du pays –, entraîner les militaires en leur proposant des formations à l’Ecole des Amériques (4) , etc. Ce plan a parfaitement réussi le 11 septembre 1973 et sera reproduit ailleurs, avec plus ou moins de succès, pour provoquer un « changement de régime » dans des pays considérés comme hostiles ( Afghanistan, Irak, Syrie, Cuba, Venezuela, Honduras, révolutions colorées en Europe centrale ...)

Le Chili a aussi constitué un laboratoire pour la mise en application des politiques économiques néolibérales théorisées par Milton Friedman au sein de « l’école de Chicago ». Cette école a formé de nombreux conseillers en économie latino-américains, dont les plus célèbres, les Chicagos boys, ont mis en place les politiques économiques d’Augusto Pinochet. Cette théorie, en opposition totale à une économie planifiée, est une vision ultralibérale qui prône le monétarisme(5), le libre-échange, la libre concurrence, les retraites par capitalisation, la privatisation des entreprises publiques, l’intervention de l’Etat limitée au maximum ou même supprimée...

           La fin de la dictature

La constitution de 1980 prévoit une période transitoire qui commence le 11 mars 1981 pour se terminer à la fin du mandat présidentiel de Pinochet soit le 11 mars 1989. Pour désigner le nouveau Président de la République un référendum est prévu. Il a eu lieu le 5 octobre 1988 mais il s’agit plutôt d’un plébiscite puisque le peuple est fortement incité à voter « oui » pour valider le maintien au pouvoir de Pinochet. Une mascarade qui ne trompe personne mais les citoyens se mobilisent . Tout d’abord ils vont aller s’inscrire en masse sur les listes électorales et participer aux nombreux débats organisés par les partis politiques de nouveau légalisés depuis 1987 – sauf le parti communiste - . Finalement le NON l’emporte largement avec 55,99 % des voix ( 44,01% pour le oui) . Cette victoire du NON permet la fin de la dictature et le retour de la démocratie avec l'élection d'un Congrès et du Président de la République, Patricio Aylwin ; celui-ci est membre de la démocratie chrétienne et entre en fonction le 11 mars 1990. Le général Pinochet demeure cependant commandant en chef de l'armée chilienne jusqu’en 1998 avant de devenir sénateur à vie en tant qu'ancien chef de l'État. Mais le 16 octobre 1998, à Londres, à la demande du juge espagnol Baltasar Garzón, il est mis en état d’arrestation et assigné à résidence dans la clinique privée où il s’était rendu pour des examens médicaux. Le juge Garzón demande ensuite son extradition vers Madrid. Mais protégé par son amie Margaret Thatcher et sous la pression de Washington Pinochet ne sera pas extradé et rentrera au Chili où il meurt le 10 décembre 2006 sans avoir été jugé.

Difficile retour de la démocratie

La société chilienne est profondément divisée entre adversaires et défenseurs de Pinochet. La « Réconciliation nationale » engagée après la victoire du NON au référendum de Pinochet du 5 décembre 1988, est remise en cause par l’arrestation de l’ancien dictateur et sénateur à vie. Le Président Eduardo Frei (1994-2000), assume sans ambiguïté la défense du général emprisonné et les forces armées lui reprochent de ne pas avoir rompu les relations diplomatiques avec le Royaume-Uni et l’Espagne. Le sénateur de droite Ignacio Walker dénonce «les dangers qui menacent la démocratie si le sénateur à vie ne reprend pas immédiatement sa place vide à la Chambre haute ». La droite pinochétiste n’hésite pas à semer la peur au sein de la population et laisse courir des rumeurs de menaces d’attentats terroristes.

Les coalitions de centre gauche qui gouvernent le Chili après 1990 - la Concertation - n’entreprennent pas de profondes réformes économiques , ne remettent pas en question les politiques néolibérales de Pinochet. On observe une relative continuité qui a permis de consolider l’héritage économique de la dictature tout en augmentant la dépense sociale et encourageant le dialogue entre les syndicats et le patronat.

Avec le Président Sebastián Piñera (2010-2014 puis 2018-2022) , l’un des hommes les plus riches du pays, c’est le retour de la droite pinochétiste ; il a d’ailleurs déclaré au quotidien La Nación « ce n’est pas un péché d’avoir travaillé pour le régime de Pinochet ».Il entend diriger l’État comme une entreprise ( l’une des siennes) et son gouvernement ressemble plus à un conseil d’administration qu’à un conseil des ministres. Il est très impopulaire (taux de satisfaction en fin de mandat 7% ).

Les émeutes d’octobre-novembre 2019 et leurs conséquences

Le Chili est l’un des pays les plus inégalitaires de l’OCDE(6). Selon les Nations unies, 1% des Chiliens concentrent plus de 25% des richesses du pays. Le coût de la vie ne cesse d’augmenter, le salaire minimum est très insuffisant ( 400 €), la colère gronde et selon le sociologue Carlos Ruiz « l’augmentation du ticket de métro, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». Cette explosion de colère sociale est avant tout liée à l’extrême privatisation de la vie quotidienne : la santé, l’éducation, les retraites, l’eau… Ici, le citoyen est de plus en plus considéré comme un consommateur. Pour le sociologue Carlos Ruiz, le gouvernement de Sebastian Piñera a commis une erreur en déployant plus de 9 000 soldats dans les rues de Santiago. Les chars parcourant les rues de la capitale ainsi que le premier couvre-feu depuis des décennies, ravivent chez de nombreux Chiliens le traumatisme de la dictature militaire d’Augusto Pinochet. Le bilan de ces manifestations est lourd : 26 morts et des centaines de blessés. Parmi les revendications portées par les manifestants, outre le refus de l’augmentation du prix du ticket de métro, un meilleur accès à la santé et à l’éducation et la réduction des inégalités sociales, il y a la demande d’une nouvelle constitution et même la démission de Piñera.

Le film-documentaire de Patricio Guzmán « Mon pays imaginaire » sorti le 26 octobre 2022 montre la violence des affrontements avec la police et l’armée et nous transmet avec émotion l’espoir de ce réveil chilien vers une société plus juste .

Pour mettre fin à ces manifestations, le gouvernement consent à l'organisation d'un référendum portant sur un changement de constitution et sur l’élection d’une « Convention constitutionnelle » chargée de sa rédaction. Cette convention est élue lors des scrutins des 15 et 16 mai 2021 et commence ses travaux le 4 juillet suivant. Son mandat est fixé à une durée de neuf mois plus 3 si nécessaire. Le 4 juillet 2022, elle est dissoute après avoir remis son projet au nouveau Président de la République. Sebastián Piñera ayant quitté ses fonctions le 11 mars 2022, c’est son successeur, Gabriel Boric qui fixe au 4 septembre 2022 la tenue du référendum pour répondre à la question :

« Approuvez-vous le texte de la nouvelle Constitution proposée par la convention constitutionnelle ? ». Contre toute attente, le NON l’emporte largement avec à 61,87% des voix.

Le problème non résolu d’une nouvelle constitution

Ce rejet surprend car la convention constitutionnelle élue les 15 et 16 mai 2021 était composée de nombreux candidats indépendants, au détriment des partis traditionnels ; les listes de gauche ont obtenu plus de sièges que la droite et l’extrême droite. Elle comprend un nombre égal d’hommes et de femmes, et 17 sièges sont réservés aux peuples indigènes. La constitution élaborée est progressiste, écologique, féministe et sociale et tous les groupes identitaires ont pu placer quelques droits les concernant (ex les femmes, les Mapuches).

Comment expliquer le rejet massif d’une telle constitution ?

Quelques explications ont été avancées par les analystes :

- Le vote a été rendu obligatoire, une première au Chili. Les nouveaux électeurs peu politisés ont sans doute voté NON (rechazo)

- Un texte trop long (388 articles) qui ressemble plus à un programme de gouvernement qu’à une constitution

- L’Eglise catholique, très puissante, opposée à l’avortement, à l’euthanasie , au mariage homosexuel a mené une forte campagne pour le rejet

- La plurinationalité (la reconnaissance des peuples indigènes) a fait craindre la perte de l’unité du pays et le bruit a couru que les « Indiens » auraient plus de droits que les Chiliens, le racisme anti-indien n’ayant pas complètement disparu

- Les Mapuches n’adhérant pas non plus à la proposition d’État plurinational, ont aussi rejeté la constitution

- Le président Boric n’ayant pas la majorité au Parlement, fait des alliances jugées contre nature par une partie de la gauche qui a voté « rechazo »

- Pour certains électeurs, cette Constitution était biaisée, elle apportait trop de droits aux minorités, aux femmes, aux indigènes, aux minorités sexuelles.

- La campagne de dénigrement a été féroce. Les médias aux mains de la bourgeoisie ont répandu un flot de mensonges : vous allez perdre vos emplois, le Chili va devenir comme Cuba et le Venezuela, la violence et le marché de la drogue vont augmenter, etc.

Reconnaissant la défaite du texte proposé pour lequel il s'était personnellement engagé lors de la campagne, le président Gabriel Boric entame une série de réunions avec l'ensemble des dirigeants des partis politiques en vue de la tenue de nouvelles élections constituantes. Ces dernières amèneraient à la mise en place d'une autre assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution, à son tour soumise à référendum.

                                                                                                                                          Notes :

 

(1) Le Chili peut s’ennorgueillir d’avoir deux Prix Nobel de littérature : Gabriela Mistral ( 1889- 1957) et Pablo Neruda ( 1904- 1973)

(2) Créole : personne descendante de colon européen mais né dans la colonie.

(3) Golpe :Mot espagnol signifiant « coup » . Il est utilisé pour désigner un coup d’état

(4) L’Ecole des Amériques : C’est un centre d’enseignement militaire créé en 1946 géré par le département de la défense des Etats-Unis. Nombre de militaires ayant organisé des coups d’état et instauré des juntes y ont été formés. On y enseigne les doctrines de contre-insurrection, la guerre subversive , les méthodes de torture et y inculque la haine du communisme.

(5) Monétarisme : C’est une théorie économique fondée par l’économiste Milton Friedman qui rejette les interventions de l’Etat dans l'économie. De plus, les banques centrales ne doivent pas intervenir sur les marchés qui vont s’auto-réguler. Cette théorie s’oppose radicalement au keynésianisme.

(6) OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economique

 

                                                                                                                                   Sources :

1- Manière de voir : La bataille pour le Chili de Savador Allende à Gabriel Boric ( n° 185 , octobre-novembre 2022)

2- Wikipedia

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