La Bataille de la Sécu, une histoire du système de santé
En ces temps de manifestations contre la réforme des Retraites, de difficultés à être bien accueilli dans nos hôpitaux, il est bon de réviser l’Histoire de la Sécu. Nicolas Da Silva nous y invite. Il développe plus précisément l’histoire de notre système de santé dans un livre passionnant, très agréable, facile à lire.
En introduction, il pose cette question : « Alors que le régime général de sécurité sociale a été construit en 1946 dans un pays ruiné par la guerre, pourquoi serions-nous incapables aujourd’hui de l’étendre dans un pays aussi riche ?»
De l’Ancien Régime à 1793
Dans le premier chapitre, l’auteur nous propose un intéressant récit de l’histoire de la production de soins sous l’Ancien Régime. Pendant l’époque féodale l’Église est un pilier central des institutions du soin avec d’un côté l’hôpital et d’un autre côté la médecine pratiquée par des guérisseurs, des sages-femmes, des matrones, des religieuses... L’hôpital d’alors est moins un lieu de soins que de mise à l’écart des pauvres, orphelins, vieillards, infirmes, malades, etc. La Révolution de 1789 apporte quelques aides aux plus nécessiteux privilégiant les soins à domicile prodigués par un officier de santé que la loi prévoit d’installer dans chaque district mais cet âge d’or de la bienfaisance s’éteint après Thermidor.
Les mutuelles
Le deuxième chapitre raconte la genèse de la Mutualité . Le XIXème siècle voit l’ émergeance des caisses de secours mutuel , une solution auto-organisée par le mouvement social . Ces sociétés sont tolérées par le Pouvoir tant qu’elles s’occupent de bienfaisance : secours aux anciens, financement des obsèques, visites aux malades ...mais elles deviennent aussi des lieux de contestation, des comités de luttes, ce qui provoque répressions, condamnations et même dissolutions.... La Révolution de 1848 va permettre leur épanouissement et elles seront légalisées par le décret du 26 mars 1852 sous l’empire de Napoléon III. Mais cette réappropriation par le pouvoir change le sens de la mutuelle qui se plie dans son fonctionnement aux exigences du capital et de l’État. Apparaît alors dans le mouvement social une séparation entre modérés du mutualisme et radicaux du syndicalisme. Il faut attendre la Première Guerre mondiale pour que l’État s’empare de l’organisation et du financement du système de soin.
L’ Etat Social
Les lois d’assurances sociales de 1928-1930 vont permettre l’essor de l’hôpital public qui se médicalise et un remboursement partiel des soins pratiqués par la médecine de ville. Ces lois posent 4 grands principes : l’obligation de cotisation des travailleurs et des employeurs, la gestion des caisses non étatique, la liberté de créer une nouvelle caisse et la liberté d’affiliation à la caisse de son choix. Les insuffisances et les obstacles sont nombreux : les assurances sociales ne concernent pas l’intégralité du monde du travail - sont exclus les travailleurs indépendants, artisans et agriculteurs - les remboursements ne dépassent pas 40% du prix payé par les malades, les prix ne sont pas décidés par l’État mais ils résultent d’une négociation entre les caisses et les professionnels, appelée convention. Certains syndicats de médecins refusent de signer une convention. Mais avec ou sans convention, la loi prévoit la possibilité pour le médecin d’imposer au patient le prix qu’il veut. Les caisses sont très nombreuses et n’offrent pas toutes les mêmes services.
Les caisses de retraite fonctionnent selon le principe de capitalisation.
1946 : mobilisation ouvrière pour la Sociale
La Sociale est le nom que prendra cette forme de protection sociale auto- organisée contre l’État, contre le Capital et contre les formes de paternalisme antérieur et gérée par les intéressés eux-mêmes. Elle a connu deux concrétisations historiques : une sous la Commune de Paris en 1871 (1) et une autre avec le régime général de sécurité sociale de 1946.
Caisses primaires, caisses régionales, caisse nationale et FNOSS ( Fédération Nationale des Organismes de Sécurité Sociale) : tout est élaboré durant les six premiers mois de 1946 principalement par la CGT et le PCF. Le mouvement social peut compter à ce moment-là sur l’appui d’Ambroise Croizat, ministre communiste du Travail du 28 novembre 1945 au 16 décembre 1946 et sur le dévouement de Pierre Laroque, haut fonctionnaire, qui avait été nommé directeur des assurances sociales le 5 octobre 1944 à son retour de Londres.
Ce travail titanesque connaît de multiples difficultés : des tensions syndicales avec la scission de la CGT, la réticence des mutuelles, l’opposition des médecins et de l’Église, le refus des patrons, la méfiance des hauts fonctionnaires, etc.
Pourquoi tant d’opposition au régime général de sécurité sociale ? L’enjeu n’est pas seulement l’argent mais le pouvoir. Pour la première fois, la classe ouvrière organisée va diriger une partie significative de l’activité économique du pays. Ceci est insupportable pour tous les conservateurs, les patrons, le capital, qui perdent une partie de leur pouvoir.
Nicolas Da Silva nous conte par le menu toutes ces luttes et démontre que La Sécu est le produit d’une histoire longue et conflictuelle.
La réappropriation du régime général par l’État social
L’un des enjeux principaux depuis 1946 pour l’État et pour les différentes formes du paternalisme social est donc la reprise du pouvoir sur le régime général de la sécurité sociale. Il faut réduire l’influence ouvrière qui a la « désagréable » caractéristique d’être souvent communiste.
Deux grands changements sont imposés par le ministre Jean-Marcel Jeanneney en 1967 : le régime général assuré par une caisse unique est divisé en 3 branches ( maladie, famille, vieillesse) et il est mis fin à l’auto-gouvernement en introduisant les principes du paritarisme et de désignation des représentants dans leur administration(2).
Nicolas Da Silva nous montre les conséquences de cette première grande contre-réforme puis toutes celles qui suivront jusqu’à nos jours parmi lesquelles :
*L’introduction de la CSG par le gouvernement socialiste en 1990 : c’est un impôt qui légitime une prise de contrôle de l’État sur les institutions de protection sociale autrefois financées uniquement par la cotisation.
*Le plan Juppé de 1995-1996 : il a amplifié le processus d’appropriation du régime général par l’État en créant la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), en créant les Agences régionales d’hospitalisation (ARH) sous l’autorité directe du ministre.
* En 2004 les ARH deviennent les ARS que nous connaissons aujourd’hui . Ces agences sont une manifestation éclatante de l’étatisation et de la bureaucratisation de notre Sécu.
L’État a maintenant les mains libres pour imposer sa politique sociale dans tous les domaines : santé, retraites....
Imposer l’austérité
Dès le début, le dénigrement de la Sécu n’a pas cessé : on l’accuse de mauvaise gestion, de gabegie, de fraudes des ayants-droits, de sur-endettement, etc. Mais « le trou de la Sécu » est largement entretenu pour nous faire accepter les politiques d’austérité. L’auteur montre que l’instabilité du capitalisme qui évolue de crises en crises est la principale menace sur la Sécurité sociale en plus d’une volonté politique de mettre la main sur ce pactole qui échappe aux circuits financiers (528 milliards d’euros de recettes en 2020 ).
Prolonger la lecture
On pourra compléter la lecture de ce livre préfacé par Bernard Friot, avec les 2 films de Gilles Perret : Les Jours heureux et La Sociale .
« Les Jours heureux » est le nom du programme du Conseil National de la Résistance (CNR) .Ce programme a donné naissance à la Sécurité sociale, aux retraites par répartition, aux comités d’entreprises, à la liberté de la presse,etc. Le film de Gilles Perret raconte comment ces lois ont été élaborées pour en réhabiliter l’origine, ce que beaucoup ont oublié et que trop de jeunes ignorent.
« La Sociale » retrace la lutte acharnée de Ambroise Croizat qui fut le prinipal bâtisseur de la mise en place de notre Sécu. (3)
Notes
(1) L’article du MS21 sur la Commune : https://www.ms21.org/affiche-article_67.html
(2) Paritarisme : des caisses seront administrées par des représentants élus à parité c-a-d le même nombre de sièges pour les employeurs et les syndicats ouvriers. Les représentants seront désignés et non plus élus. Les élections à la Sécu ont existé de 1947 à 1967. François Mitterrand a tenu à respecter une de ses promesses électorales, celle de rétablir les élections à la Sécurité sociale, symbole fort des années 45. Elles eurent lieu en 1983, puis tombèrent en désuétude avant d'être à nouveau supprimées en 1996 (plan Juppé)
(3) Ces deux films sont disponibles ( DVD ou VOD) sur le site des Mutins de pangée à des prix très modestes :