Deux peuples pour un Etat ?

Publié le par MS21

Deux peuples pour un Etat ?

Deux peuples pour un Etat ?

Relire l’histoire du sionisme

Shlomo Sand est un historien israélien, militant de la gauche israélienne, professeur émérite à l’Université de Tel Aviv.

Il est l’auteur, entre autres ouvrages, de « Comment le peuple juif fut inventé », paru en 2008 aux éditions Fayard, qui fit beaucoup de bruit à l’époque : il y affirme qu’il n’existe aucune preuve dans les textes, aucune trace dans les sites archéologiques, de la déportation massive du peuple juif par les Romains en l’an 70 après la destruction du Temple par Titus. Ce mythe, une invention des chrétiens, dit que le peuple juif aurait vécu 2000 ans en exil dans des conditions épouvantables jusqu’à ce que le sionisme lui permette de retourner dans son pays, sur la terre de ses ancêtres, Eretz Israël.

Dans ce nouveau livre « Deux peuples pour un Etat ? » paru en France en 2024 au Seuil, Sholom Sand propose de « Relire l’histoire du sionime » et expose les diverses solutions qui furent pensées pour que Juifs et Arabes vivent en paix . Il cite des personnalités, des responsables politiques, des intellectuels qui sont intervenus et ont proposé des solutions. Citons-en quelques-uns :

Ahad Haam (1856-1927) résidant en Ukraine, a rallié le sionisme dans les années 1880 et après un voyage en Palestine de quatre-vingt huit jours, publie en 1891 « La vérité sur Eretz Israël » où l’on peut lire ces lignes : « Ils [les colons] traitent les Arabes avec hostilité et cruauté, empiétent sur leur propriété, les frappent sans raison, s’en vantent même, et il n’y a personne pour les réfréner, pour mettre fin à ces pratiques éhontées et dangereuses ».

Théodore Herzl (1860-1904) a fondé l’organisation sioniste mondiale ( OSM) à Bâle où s’est tenu son congrès fondateur en 1897. L’acte final du congrès ( où il sera élu président) énonce : « Le sionisme est un mouvement politique dont l’objet est d’établir pour le peuple juif, une patrie en Palestine ».

Autre figure du sionisme, Vladimir Jabotinsky ( 1880-1940 ) est considéré comme le père fondateur de la droite sioniste. Selon lui, l’arrivée des Juifs en Palestine correspond à une entreprise coloniale et il est logique que les Arabes de Palestine s’opposent à la colonisation sioniste étrangère ( La muraille d’acier 4 novembre 1923)

Lord Balfour, secrétaire d’état aux affaires étrangères adresse une lettre, le 2 novembre 1917, à Lionel Walter Rothschild, juif, financier du mouvement sioniste, membre de la Chambre des Lords. Par cette lettre, le Royaume-Uni se déclare en faveur de l'établissement en Palestine, bientôt sous mandat britannique ( 1920-1948), d'un foyer national pour le peuple juif.

Le 14 mai 1948, David Ben Gourion, alors Président du Conseil National Juif , proclame l’indépendance de l’Etat d’Israël, rapidement reconnu par les Etats-Unis et par l’URSS.

La « Déclaration d’Indépendance » parle d’un « État juif et démocratique », et promet une pleine égalité entre tous les citoyens, sans considération de religion, d’appartenance ethnique ou de sexe. Ce fut une promesse qui, hélas, ne sera pas tenue…

L’Assemblée Générale de l’ONU, par la Résolution 181, décide, le 29 novembre 1947, le partage de la Palestine en trois entités : un État juif - les juifs qui représentent seulement le tiers de la population et occupent 7 % du territoire en obtiennent 54 % ; un État arabe - les Palestiniens 44% de la population ; Jérusalem et ses alentours sont placés sous contrôle international en tant que corpus separatum ( corps séparé). Ce partage très inégal fut évidemment refusé par les Arabes de Palestine.

La promesse - non tenue - de l’ONU d’une solution à deux États en 1947 était insuffisante à l’époque, et elle est encore moins réalisable politiquement aujourd’hui.

Shlomo Sand écrit ( pages 268 et suivantes)) : « Dans le champ étroit situé entre la mer et le Jourdain, deux peuples vivent dans une insupportable atmosphère conflictuelle, qui ne pourra plus durer. […] Quatre propositions sont avancées pour barrer la route aux catastrophes qui se profilent : « Deux Etats pour deux peuples », « Une confédération de deux Etats souverains », « Un Etat démocratique et laïque » et « Un Etat fédéral binational ». Puis il analyse avantages et inconvénients de ces quatre possibilités, espérant que l’actuelle situation ne se termine pas en catastrophe.

Conclusion

Ce livre a été écrit avant l’arrivée au pouvoir de Benyamin Netanyahou en 2022 et l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023. Depuis la situation n’a fait qu’empirer et s’avère inextricable : la colonisation en Cisjordanie est trop avancée pour que l’État israélien en évacue les colons. L’annexion de Jérusalem, l’occupation de la Cisjordanie et la destruction quasi totale de Gaza rendent impossible la création d’un État palestinien viable. La reconnaissance tardive par la France d’un Etat palestinien est très insuffisante.

Suivant l’analyse de Sand, Israël est donc confronté à un dilemme : l’expulsion massive, vers la Jordanie et l’Égypte, des populations arabes natives ou le recours ultime au mythe de l’État binational. Shlomo Sand ne cache pas sa préférence pour un seul Etat binational.

Compléments

Ofer Cassif député communiste à la Knesset : Israël n’a jamais été une véritable démocratie, et ce dès le départ, car il a institutionnalisé la suprématie juive, qui ne peut coexister ni avec la démocratie, ni avec un quelconque libéralisme, sans même parler de socialisme.

Yousef Munayyer, chercheur émérite à l’Arab Center Washington, D.C., où il dirige le programme Palestine/Israël : « La seule alternative susceptible d’apporter une paix durable est l’égalité des droits pour les Israéliens et les Palestiniens dans un seul État partagé. »

Monique Chemillier-Gendreau est l’une de nos plus grandes spécialistes françaises du droit international, agrégée de droit public et de science politique, et professeure émérite à l’université Paris-Diderot. Ses travaux portent entre autres sur la théorie de l’État et l’ont conduite à plaider devant de prestigieuses juridictions internationales, comme la Cour internationale de justice, où elle a dénoncé les pratiques d’Israël dans les territoires palestiniens occupés. Elle est l’autrice de "Rendre impossible un État palestinien : l'objectif d'Israël depuis sa création", une analyse implacable de 75 ans de faux-semblants israéliens. Dans cette interview menée par Olivier Berruyer pour Élucid, elle revient sur le contexte d’émergence du sionisme et sur la manière dont cette idéologie s’est imposée. Puis, elle détaille les différentes stratégies d’Israël pour rendre impossible en pratique l’existence d’un État palestinien, en usant de tous les moyens possibles.

 

Entretien de Olivier Berruyer avec Monique CHEMILLIER-GENDREAU sur Elucid

 

 

 

 

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