Medias et informations
Ce que l’on entend par médias. Traditionnellement le terme peut signifier tous les moyens directs ou indirects qui permettent la diffusion la plus large d’informations et d’opinions. Son acception contemporaine, relativement récente est liée à l’évolution des supports technologiques, avec l’apparition de l’internet, mais plus encore depuis le début des années 2000 au surgissement de ce qu’il est convenu d’appeler le web 2.0 . Ce phénomène permet hors de toute maîtrise technologique à des millions d’acteurs, d’échanger, transmettre, communiquer, informer, interagir à la fois entre eux et sur les contenus, en touchant un immense public.
Les médias traditionnels, journaux, radio, télévision, communément appelés mass-médias, obéissent quant à eux à des objectifs différents dans lesquels l’opinion et l’information sont structurantes. Par leur nature même, quelle que soit la forme du support, ces médias sont une marchandise qui comme toute marchandise ne cesse de se vendre et de s’échanger, partant, il importe d’en faire progresser la valeur marchande, donc d’en multiplier les récepteurs consommateurs. Comme vecteurs d’opinion on conçoit l’intérêt des puissances d’argent comme des pouvoirs économiques et politiques pour de tels leviers d’influence, ce qui explique leur concentration entre quelques mains.
La séduction et le divertissement qu’ils offrent, tout en prétendant remédier parfois à certains maux de nos sociétés, peuvent devenir dans le même temps de véritables poisons.A nous de faire le tri et de promouvoir des modèles politiques dans lesquels la puissance publique joue son rôle de régulateur. De tout temps, la question de l’information a été présente dans le débat public. Mais dans la période récente et tout particulièrement en France c’est vers la fin des années 90 qu’elle prend une acuité particulière avec la parution de deux ouvrages retentissants : « Sur la télévision » de Pierre Bourdieu et « Les nouveaux chiens de garde » de Serge Halimi. Le premier montre que la télévision n’est qu’un instrument de l’idéologie dominante et le second dénonce le journalisme de révérence, voire de connivence, qui sévit dans le petit microcosme de l’information. Ces critiques ont marqué l’opinion publique et de nombreux sondages révèlent qu’une majorité des Français pensent que les journalistes, dans leur ensemble, ne sont indépendants ni du pouvoir ni des puissances de l’argent.
La désinformation
La désinformation et la manipulation des peuples par les médias n’ont bien-sûr pas attendu la fin du XXème siècle pour être utilisées. Déjà en 1939, le sociologue allemand Serge Tchakhotine publiait « Le viol des foules par la propagande politique », un traité de psychologie sociale qui, sur fond de propagande nazie, analyse les quatre impulsions primaires auxquelles obéissent les foules : l’agressivité, l’intérêt immédiat, l’attirance sexuelle et la norme. Mais il est vrai que, au cours des trente dernières années, les exemples n’ont pas manqué et que la puissance des nouvelles technologies de l’information a donné à ces malhonnêtetés un impact immédiat et quasi-planétaire. Ainsi, en décembre 1989, au moment de la révolution roumaine, est découvert le « faux » charnier de Timisoara : des images saisissantes sont là pour prouver que plus de 4000 personnes ont été tuées par la police politique. Or les quelques cadavres visibles à l’antenne ont été sortis d’une morgue de l’hôpital et alignés pour tromper l’opinion internationale… En 2003, tous les médias de la planète ont relayé les images de Colin Powell brandissant, au conseil de Sécurité de l’ONU, les « preuves » des armes de destruction massive détenues par Saddam Hussein. Non seulement, personne ne les a trouvées, mais C. Powell lui-même, dans une interview donnée à la chaine ABC, a reconnu que son discours resterait comme une « tache dans sa carrière » en raison des mensonges qu’il avait été obligé de dire ou plus exactement de lire, puisqu’il s’agissait d’un texte préparé par le secrétariat du vice-président américain de l’époque, le sinistre Dick Cheney. Ces faits ont été dénoncés par le MS21 dans un précédent article intitulé « Propagande de guerre » publié sur son blog le 10 octobre 2017.
.Une information à visée commerciale et financière
Il s’agissait là de manipulations caricaturales. Mais, plus banalement, s’il faut répondre à la question : les médias offrent-ils une information biaisée ?, la réponse est évidemment oui. La naïveté n’est pas de mise car l’objectivité complète, pure, est un mythe et, dans la vraie vie, toutes les informations que nous recevons passent par un prisme plus ou moins déformant qu’il est important de reconnaître et dont il est possible de classer les effets. Le premier, certainement le plus fréquent, est le biais commercial. Dans une économie de marché, l’information est une « marchandise » qu’il faut vendre et donc rendre attractive, nouvelle, si possible gorgée de conflits, de mouvements, de catastrophes. Les guerres, les épidémies, les accidents remplissent les colonnes de nos journaux comme les programmes de nos télés – souvent agrémentées d’images choquantes - et font évidemment apparaître le monde bien plus dangereux qu’il n’est réellement. Ainsi, dans les mois qui ont suivi les attentats de Charlie, l’israélien Zvika Klein, qui travaille pour un site proche de Netanyahou, affirme que les juifs ne sont plus en sécurité en France et qu’il existe dans nos banlieues des zones qui leur sont interdites. Après s’être promené dans Paris et sa banlieue avec une kippa, il fait une vidéo sur son expérience malheureuse, assimilant l’antisémitisme au monde musulman, qui est visionnée par plus de cinq millions de personnes. Mais deux journalistes français, Thierry Vincent et Julien Nativel, ont réitéré l’expérience en marchant et filmant pendant plus de 60 heures dans tous les quartiers réputés « chauds » de Paris, de Strasbourg, et de Lyon et leur conclusion est bien différente : « Nous avons rencontré essentiellement de l’indifférence et parfois même des marques de sympathie ». On ose espérer que leur reportage aura le même impact médiatique… ( cf Envoyé spécial Reportage video du 4 - 12 - 2015 )
Un ancrage idéologique immuable...
En contrepoint de cette tendance au « scoop » vient un deuxième biais qui est celui de l’immobilisme idéologique. Pour l’immense majorité des médias – qui sont des acteurs économiques nourris par le libéralisme lui-même et donc soumis à ses règles - en effet, les crises bancaires ou économiques, les guerres, les vagues migratoires etc… ne sont que des aléas d’un système qu’ils se gardent bien de remettre en cause dans sa globalité. Les conséquences de ce conformisme idéologique sont importantes. Il y a tout d’abord cette propension ahurissante à polariser l’activité journalistique sur des hommes aussi providentiels qu’éphémères et aisément remplaçables – tels Sarkozy, Hollande, Macron qui, dans cette logique, seraient les seuls, avec leurs pouvoirs quasi divins, à offrir une perspective de salut miraculeux au peuple. Ensuite, on remarquera la tendance naturelle de la presse dominante à dénigrer le peuple lui-même quand celui-ci a l’outrecuidance de remettre en question le cadre institutionnel néo-libéral. La campagne de 2005 en France sur le Traité Constitutionnel Européen avait déjà été révélatrice de ce positionnement mais nous en avons actuellement une autre illustration : depuis plusieurs semaines, une petite musique insidieuse, diffusée par les chaines de télévision (France 2, TF1, etc…) laisse entendre que les Britanniques regretteraient leur choix de juin 2016 relatif au Brexit. Or, un sondage réalisé par l’institut YouGov du 13 au 19 décembre, et portant sur plus de 1500 personnes au Royaume-Uni montre que 48% des personnes interrogées sont en faveur du Brexit et que seulement 39% lui sont opposées. Lorsque France 2 a traité ce sujet – d’une façon très orientée « anti-Brexit » - lors d’une émission spéciale le 22 décembre, on aurait pu attendre que ce sondage soit évoqué. Il n’en a rien été. De plus, les éditocrates ne manquent pas une occasion d'insister sur tous les « graves désagréments » que vont subir les sujets de sa Majesté : changement de leur passeport, lourdes sanctions économiques, échanges commerciaux plus difficiles, retour des droits de douanes et des visas, etc. Ces « inconvénients » sont exagérés à dessein pour éviter un phénomène de contagion que redoute par dessus tout l’oligarchie financière.
… et la consanguinité des intervenants
Complétant cette approche on repèrera enfin une dernière distorsion à l’information : la porosité et la confusion permanente entretenues entre les sphères de la politique, du spectacle et du journalisme. Puisque le cadre institutionnel est immuable, toutes les paroles « médiatiques » ne sont que des commentaires univoques d’une réalité incontestée. A ce petit jeu, les fonctions du comédien, du responsable politique, ou du journaliste deviennent parfaitement interchangeables. Ainsi, dans la liste non exhaustive du recyclage dans les médias d’anciennes personnalités du monde politique on connaissait le cas de Roselyne Bachelot, ministre de la santé sous Sarkozy, on ajoutera maintenant Jean Pierre Raffarin, Julien Dray , Henri Guaino, Raquel Garrido. Dans le sens inverse, c’était déjà vrai en 1974 lorsque Françoise Giroud, fondatrice de l’Express est entrée au gouvernement de Giscard et, dans les années 80 on se souvient des « transferts » vers la politique de Dominique Baudis, Jean Marie Cavada, Noël Mamère. Bruno Roger-Petit, ex présentateur de JT sur France 2, éditorialiste pour Challenges est aujourd’hui… porte-parole de l’Elysée !
La puissance publique et les médias
Le 30 novembre dernier, l’émission politique de France 2 consacrée à Jean Luc Mélenchon a été particulièrement houleuse. Considérant que de nombreux journalistes économiques avaient présenté des mensonges comme des faits, le leader de la France Insoumise a appelé à la création d’un « conseil de déontologie du journalisme en France » qui aurait le pouvoir de « sanction symbolique contre les menteurs ». Pourquoi pas. De telles institutions existent dans de nombreux pays, tant en Europe qu’en Amérique latine, en Afrique ou en Australie et la France sur ce plan ferait plutôt figure de regrettable exception. Mais, outre que le CSA pourrait jouer un rôle plus précis sur la question, il faut rester scrupuleux sur l’indépendance du journalisme vis à vis du pouvoir politique. Nul n’est nostalgique d’une époque pas si lointaine où les directeurs de radios et télévisions étaient régulièrement convoqués à Matignon pour être rappelés à l’ordre ! En fait, au-delà de cette préoccupation légitime de déontologie, surgit une autre question plus préoccupante : celle de la concentration des médias aux mains d’une poignée de milliardaires (Bernard Arnault, François Pinault, Xavier Niel, Patrick Drahi etc…) qui s’achètent un journal pour asseoir leur pouvoir. Par la précarisation des journalistes et leur promotion en interne basée sur la révérence et le conformisme idéologique plus que sur la compétence journalistique cette concentration fait courir un grand danger au pluralisme et à la qualité de l’information. « Nous connaissons assez le capitalisme pour savoir qu’il n’y a pas de séparation entre le contrôle et la propriété » expliquaient les rédacteurs du Wall Street Journal (en 2007) après la teprise du quotidien d’affaires par le magnat de la presse Rupert Murdoch.
Alors, comment éviter les dérives anti-démocratiques de ce « Quatrième pouvoir » ? Preuve que la question est importante, de nombreuses expériences ont lieu dans ce sens à l’heure actuelle. Le MS21 invite ses sympathisants à consulter sur ce sujet l’article du « Monde Diplomatique » de décembre 2014 écrit par P.Rimbert. Il y propose – dans le prolongement du travail de B. Friot sur l’extension de la cotisation - un financement de la presse d’intérêt général par une « cotisation information » (de 0,1% du PIB) pour une somme totale de 1,9 milliard d’euros. Ajoutée aux 2,5 milliards d’euros recueillis par les ventes, elle permettrait d’assurer, dans un service socialisé calqué sur la sécurité sociale, le bon fonctionnement mutualisé des 500 titres nationaux et régionaux d’information générale. Ceci à l’abri de la mainmise des capitaux privés et sans subordination aux rentrées publicitaires…
Le programme du Conseil National de la Résistance avait inscrit dans les mesures à appliquer dès la libération du territoire « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l'égard de l'Etat, des puissances d'argent et des influences étrangères» ça fait rêver !