Polémique sur une commémoration
Un débat agite les esprits bien nés aujourd’hui : faut-il célébrer le 200ème anniversaire de la mort de Napoléon Ier? Faut-il commémorer les mois tragiques de la Commune de Paris? Est-ce l’un ou l’autre et pourquoi choisir l’un plutôt que l’autre?
Ce débat est en soi sinon une réponse du moins une explication à la manière dont sont perçus ces deux temps de notre histoire.
Le 21 Juin 1880 lors du vote à l’Assemblée pour l’amnistie des Communards, Gambetta qui avait joué un rôle actif pendant la guerre contre les Prussiens de 1870 , demanda qu’on « mette la pierre tumulaire de l’oubli » sur ces événements. Honte ou crainte ? Le moins que l’on puisse dire est que cet appel à l’effacement de la mémoire fut d’une redoutable efficacité au point qu’aujourd’hui on peut parier pour l’ignorance de cette brève mais intense période de notre histoire chez une majorité de la population. La Commune n’a jamais fait le poids dans les livres d’histoire face à la «grande histoire» officielle, celle de l’omniprésence napoléonienne, celle qui a conduit pendant tant d’années à honorer la mémoire d'Adolphe Thiers, auteur en 1871 d’un massacre de plusieurs dizaines de milliers de morts, hommes et femmes du peuple parisien et qui n’hésita pas à trahir son propre pays pour sauvegarder les intérêts de ceux qui l’avaient mis au pouvoir.
Commémorer donc, ou ne pas commémorer, un peu, à peine, beaucoup, solennellement, les uns, ou l’autre … l’embarras évident de la classe politique au pouvoir aujourd’hui confrontée à ces choix pourrait prêter à sourire s’il n’était aussi révélateur et n’éclairait aussi brutalement l’idée que aujourd’hui comme hier, seule la classe dominante, la bourgeoisie conservatrice a la légitimité pour exercer le pouvoir et préserver ainsi ses intérêts.
Après la défaite de Sedan et la chute de l’Empire, la troisième République se dote d’un gouvernement résolument au service de la classe dominante. Thiers le revendique lors de son témoignage devant la Commission d’enquête parlementaire sur les événements de la Commune en 1872 : «Les gens d’affaires allaient répétant partout : vous ne ferez jamais d’opérations financières si vous n’en finissez pas avec ces scélérats et si vous ne leur enlevez pas les canons. Il faut en finir et alors on pourra traiter d’affaires.»
Ainsi déjà, la bourgeoisie d’affaires dictait au pouvoir sa politique. L’insurrection parisienne devait être matée fut-ce au prix du sang. Le 18 Mai 1871, l’Assemblée nationale ratifie à Versailles un accord : la Prusse libère l’armée bonapartiste qu’elle vient de vaincre pour lui permettre d’entrer dans Paris et d’écraser les combattants de la Commune. Preuve s’il en fallait que au-delà de l’intérêt populaire et de celui de la nation, par delà les frontières l’intérêt de classe devait l’emporter…
Le même rejet convulsif anticommunard s’est emparé de certains des écrivains majeurs de cette période dont la violence et la rage outrancière complètent crûment ce que leurs oeuvres disent d’eux. Ce peuple de Paris qui prétend prendre en mains son destin ne cadre pas avec l’image qu’ils en ont, qu’ils s’en font, eux bourgeois aisés, parfois très conservateurs, souvent célèbres, pour un peu, ils se sentiraient trahis. Le peuple est pour eux matière à observation, un sujet, ils en ont une vision fantasmée et voilà que ce peuple sort du cadre imparti. Zola l’auteur de Gervaise, de Germinal, de J’accuse, fait partie de ces contempteurs. D’autres au contraire prendront fait et cause pour les insurgés parisiens, Vallès, Verlaine, Villiers de l’Ille Adam, Victor Hugo même s’il n’approuve pas sans réserve, et des artistes aussi, comme Courbet.
En Mars 1871, le peuple qui se soulève menace les intérêts de la classe dominante, en Mai il sera écrasé dans un bain de sang.
En Octobre 2018 un mouvement de colère, le mouvement des gilets jaunes, s’empare de la population et l’on voit naître la peur dans les classes dominantes. Un ancien ministre fait une déclaration à la télévision : « ça suffit, ces espèces de nervis, ces espèces de salopards d’extrême droite et d’extrême gauche qui viennent taper des policiers.(…) On a la quatrième armée du monde, elle est capable de mettre fin à ces saloperies.. » ( Luc Ferry Janvier 2019 Radio classique )
Autre temps, autres moeurs?...