Le Programme commun de la gauche (1ère partie)

Publié le par MS21

Robert Fabre, Georges Marchais, François Mitterrand

Robert Fabre, Georges Marchais, François Mitterrand

« CHANGER LA VIE » : LE PROGRAMME COMMUN

L'UNION DE LA GAUCHE (1972 - 1983)

Bilan de la dernière tentative menée par la gauche en France pour rompre avec le capitalisme : de la « lutte finale » à « La chute finale » (Serge Halimi)

« Violente ou pacifique, la révolution c’est d’abord une rupture… Celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi… avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent du Parti socialiste. » (François Mitterrand au Congrès d'Epinay en 1971)

« le capitalisme borne notre horizon historique » (déclaration finale du Congrès du PS en 1991 )

Où que se porte notre regard dans l'Europe, un constat accablant s'impose : la gauche est en état de décomposition avancée, voire de mort clinique. Elle s'est convertie partout majoritairement au capitalisme néolibéral tournant le dos à ce qui devait pourtant faire son essence politique : l'émancipation du peuple par la voie de l'avènement d'un projet de type communiste ou socialiste. Les classes populaires, se sentant constamment trahies par des promesses sans lendemain se sont détournées de la gauche pour se réfugier dans l'abstention, ou pour se tourner vers des partis d'extrême-droite dits « populistes ». En tant que militants ou sympathisants politiques de gauche, nous sommes de plus en plus déboussolés. Nous avons tendance à nous enfermer dans la déploration de l'affaiblissement de la « vraie gauche », « la gauche de gauche », « la gauche radicale ». Nous espérons souvent, qu'au-delà des sempiternelles « trahisons » de la « fausse gauche » pourra renaître une « vraie gauche » porteuse d'espoir. Cette renaissance de la gauche « véritable » est-elle encore possible, est-elle même souhaitable ? Ou faut-il plutôt miser sur d'autres recompositions politiques ?

A l'occasion des 40 ans de la victoire de la gauche en mai 1981, nous vous proposons un détour par l'Histoire. Il est possible de parler d’événement politique crucial, puisqu'il s'agit de la dernière tentative réelle de rupture avec le capitalisme opérée en France par la gauche. L'analyse de l'élaboration du Programme commun, de la mise en place de l'Union de la gauche, de la victoire de 1981 et de ses conséquences, nous permettront d'en tirer les leçons et d'esquisser quelques perspectives de renouveau.

Historique du Programme commun et de l'Union de la gauche (1962 – 1981)

1-Les négociations et l'aboutissement du Programme commun

Le Programme commun de gouvernement signé le 27 juin 1972 entre le PS (Parti Socialiste), le PCF (Parti Communiste Français), rejoint un peu plus tard par le MRG (Mouvement des Radicaux de Gauche) est le fruit d'un long processus où les considérations tactiques comptent tout autant que les considérations idéologiques.

Après la guerre d'Algérie en 1962, la SFIO rentre dans l'opposition au gaullisme et veut recréer un parti socialiste unifié. Pour les législatives de 1962 une stratégie d'union avec le PCF permet des gains électoraux. Un dialogue s'engage alors discrètement entre la SFIO et le PCF. L'espoir né de la candidature unique de François Mitterrand à l'élection présidentielle de 1965 est contrecarré par l'absence d'issue politique pour la gauche à la crise de mai 1968 et par l'échec de celle-ci à la présidentielle de 1969. En 1969, la SFIO devient le PS (Parti Socialiste). En 1971, François Mitterrand prend la tête du PS avec le soutien de l'aile gauche du parti, notamment le CERES de Jean-Pierre Chevènement contre la « vielle garde » représentée par Guy Mollet et Alain Savary. Mitterrand est mandaté pour préparer un accord de gouvernement avec le PCF. Alain Savary propose de discuter les préalables idéologiques avec le PCF avant tout accord électoral. Mitterrand va droit au but : «Le dialogue avec le PC ne doit pas être mené à partir de thèmes imprécis d’un débat idéologique. Il portera sur les problèmes concrets d’un gouvernement ayant mission d’amorcer la transformation socialiste de la société. »(i) Mitterrand est déterminé à gagner du terrain électoral sur le PC et à diminuer son influence : « Notre objectif fondamental, c’est de construire un grand PS sur le terrain occupé par le PC afin de faire la démonstration que, sur les 5 millions d’électeurs communistes, 3 millions peuvent voter socialiste. »(ii). Il y réussira fort bien...Le PCF est la 1ère force à gauche  jusqu'en 1978.(en terme d'électeurs et en terme d'adhérents : 640 565 adhérents en 1979). Sous la direction de Waldeck Rochet, puis de Georges Marchais (à partir de décembre 1972) le parti veut sortir d'un certain isolement politique en s'ouvrant au pluralisme politique, en envisageant une transition pacifique au socialisme et une alliance avec les autres forces de gauche. Le PCF soutient Mitterrand à la présidentielle de 1965. Le PCF gagne des voix aux législatives de 1967 et une délégation des gauches est créée à l'Assemblée.

En 1968, le PCF refuse l'aventure révolutionnaire et souhaite une sortie de crise par les élections. Par le manifeste de Champigny, en 1968, le PCF se positionne en faveur de la « démocratie avancée » comme transition vers le socialisme en remplacement du concept de « démocratie populaire ». Il choisit de s'adresser aussi à d'autres classes sociales que les ouvriers (cadres, techniciens, enseignants...). En 1969, la SFIO rejette une candidature commune avec le PCF. En 1971, au comité central d'Arcueil, le PCF approuve à l’unanimité l’idée d’« un programme de gouvernement démocratique et d’union populaire ».

2-La rupture du Programme commun

A partir de 1973, le PS gagne du terrain électoral sur le PCF, ce qui provoque des critiques du PCF à l'encontre d'un Mitterrand «sûr de lui et dominateur ». Néanmoins, les élections municipales de mars 1977 sont un succès pour l'alliance PS-PC-radicaux de gauche.

Mais le PCF souhaite aller plus loin, il demande le 31 mars une actualisation du programme commun dans la perspective des élections législatives de 1978. La crise sévit depuis 1973, et le PC veut renforcer l'aspect social du programme commun en demandant, notamment, l'élargissement du champ des nationalisations. Il veut aussi imposer une restriction des pouvoirs du président de la République, une extension du contrôle de gestion des entreprises publiques, un resserrement de l’éventail des salaires et une forte revalorisation du Smic . Le PS est plus frileux au sujet de cette actualisation du Programme commun, soucieux de maintenir une image électorale de « modération ». Il y a d'autres points de divergences épineux tels que la dissuasion nucléaire et la question européenne. En 1975, Lionel Jospin rédige un rapport pour le PS- Les rapports PS-PC- qui expose les divergences  persistantes entre le PS et le PCF. Le rapport Jospin met en avant cinq grandes divergences : la conception du parti ; la nature des régimes d’Europe de l’Est ; la définition de la classe exploitée sous le capitalisme ; la question des voies de passage au socialisme ; le respect de la démocratie et des libertés dans la transition socialiste.

La crise de 1977 tient beaucoup au PCF qui s’inquiète de sa perte d'influence par rapport au PS. « Contrairement à ce qu’on pensait, l’entente autour du programme commun, en termes d’influence, n’avait pas bénéficié essentiellement au PCF […]. Elle avait permis à François Mitterrand, au Parti Socialiste de réaliser un rééquilibrage qui s’est exprimé aux élections législatives suivantes. Et, par conséquent, Georges Marchais était très préoccupé par cette situation. Devant l’échéance de la victoire probable de 1978, je crois qu’il a […] considéré que la situation était trop dangereuse. Il a craint […] de se voir accusé de brader les intérêts et le PCF lui-même […]. Et dès lors, affaiblir le PCF était le pire des crimes. Je crois qu’il a craint cela et, du coup, à sa manière, il s’est cabré et a reculé devant l’acte. »(iii)

Le PCF accuse le PS d'« illusions réformistes persistantes » et de connivence avec le gouvernement giscardien sur les questions de l’austérité, de la pauvreté, de l’inflation, des mesures sociales et des inégalités. La tension monte progressivement, la rupture est actée le 23 septembre 1977. Le programme ne sera pas réactualisé et l'on fera porter le poids de la rupture au PCF alors que les torts sont partagés. Georges Marchais remarque en 1978 : « Le parti socialiste a utilisé le thème de l’union à des fins personnelles pour essayer de se renforcer à notre détriment, mais(…) au moment de gagner pour changer, alors le parti socialiste recule. Il recule pourquoi, parce que le fonds de sa politique, c’est qu’il ne veut pas le changement, les transformations nécessaires (iv) . En 1978, aux législatives le PCF est réticent à se désister en faveur du PS au deuxième tour. Le PS est, pour la première fois depuis 1936, majoritaire au sein de la gauche. François Mitterrand a gagné son pari.

3-La droite face à l'offensive de la gauche

La droite accuse la gauche de vouloir collectiviser et soviétiser l'économie sous l'influence dominante du PCF. Sur le fond la droite dénonce  « Un catalogue de mesures économiques et sociales qui entraînerait des dépenses quatre fois supérieures au moins aux recettes escomptées ; une politique étrangère à laquelle personne ne peut croire, puisqu’il y a désaccord des partenaires sur les principaux problèmes extérieurs ; une politique de défense plus absurde que celle qui nous a conduits à la catastrophe, au désastre de 1940 »(v). Elle craint « un voyage sans retour »...Pourtant, certains gaullistes de gauche, très minoritaires, représentés par Leo Hamon, Jean Charbonnel, souhaitent rejoindre cette union de la gauche en 1977 en créant un « gaullisme d'opposition ». Après 1974, la droite s'est divisée, les gaullistes réunis dans le RPR (Rassemblement Pour la République) depuis 1976 s'affrontent aux giscardiens de l'UDF (Union pour la Démocratie Française). Certains gaullistes (Louis Vallon, Christian Fouchet, Jean-Marcel Jeanneney) dénoncent la dérive droitière du gaullisme et quelques-uns d'entre eux prennent position pour Mitterrand aux élections présidentielles de 1974. Robert Hersant annonce dans France Soir le 01/07/77 que, en cas de victoire de la gauche aux législatives de 1978 il faudra s'attendre à « la mort de la société libérale », la fin de l'alternance et le basculement irréversible dans un autre monde...

Les gaullistes de gauche relancent une dynamique d'union avec la gauche en perspective des municipales de 1977. Ils se disent même prêts à discuter de la réactualisation du programme commun. Les communistes montrent un intérêt réel pour ce rapprochement et Georges Marchais lance un « appel aux gaullistes » : « Entre les communistes et les gaullistes, il y a des choses qui ne sont pas liées à des circonstances électorales mais qui sont autrement plus profondes. Il s’agit de l’attachement à la nation et à sa grandeur, de l’aspiration à voir notre peuple rassemblé pour faire une société plus juste, plus fraternelle, au progrès de laquelle participent réellement tous les Français »(vi) Cet appel oublié, résonne d'une étrange actualité, en cette année pré-électorale où des souverainistes des « deux rives » souhaiteraient s'unir afin de conquérir un espace électoral qui pourrait s'ouvrir à nouveau...

Malgré toutes ces vicissitudes, la gauche reste porteuse jusqu'en 1981 d'un programme politique très ambitieux qui assume clairement la rupture avec le capitalisme et l'instauration du socialisme

                                                                                                         A suivre .....

Source :

 L'Union sans unité – Le programme commun de la gauche 1963 – 1978 ( Ed.  Presses Universitaires de Rennes)    https://books.openedition.org/pur/129084?lang=fr

(i) Ibid

(ii) Ibid

(iii) Ibid   Témoignage de Charles Fiterman en 2010 

(iv)Ibid  

(v) Ibid     Pierre Messmer en 1972 

(vi) Ibid    Georges Marchais en 1974

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