Programme commun -3ème partie
Contribuer à l'avènement d'une nouvelle force politique
Après la victoire de François Mitterrand le 10 mai 1981, de nombreuses mesures prévues par le Programme commun sont progressivement mises en œuvre :
- plan de relance de 1,7 % du PIB sur deux ans, de juin 1981 à juin 1983 : le SMIC augmente de 10%, les allocations familiales de 25 %, le minimum vieillesse de 20 %
- réformes fiscales favorables aux bas revenus
- durée hebdomadaire légale du travail réduite d'une heure (39 heures au lieu de 40)
- cinquième semaine de congés payés
- augmentation du nombre de fonctionnaires
- loi de décentralisation
- nationalisations qui concernent la sidérurgie, cinq grands groupes industriels (CGE, Thomson, Brandt, Saint-Gobain, Rhône Poulenc, Péchiney-Ugine-Kuhlmann) et des principales banques et assurances
- impôt sur la fortune
- retraite à 60 ans,
- abolition de la peine de mort,
- remboursement de l'IVG
- réforme des médias (radios libres...)
- prix unique du livre
- lois Auroux : obligation de négocier sur les salaires, liberté d'expression dans l'entreprise, extension des prérogatives des CHS
- loi qui réforme l'ordonnance de 1967 et rétablit l'élection des administrateurs des salariés et une représentation majoritaire des salariés à la Sécurité sociale (mais aucune élection ne sera plus organisée après 1983).
Or, le 13 juin 1982, un plan de rigueur est adopté prévoyant le blocage des salaires et des prix, redoublé en 1983 par un nouveau plan de rigueur basé sur la désinflation compétitive (hausse des prix fixée à 5 %). Un alourdissement de la pression fiscale est décidé et un net freinage de la dépense publique est mis en œuvre. Assez rapidement, la gauche française renie ses engagements électoraux et se rallie au néolibéralisme, mais elle se distingue des autres partis sociaux-démocrates européens par son zèle : désindexation des salaires, défense du libre-échange, de la monnaie forte, exigence de déficit budgétaire réduit, inflation quasi nulle, réduction des prélèvements obligatoires...Ce qui ne devait être qu'une « pause », une « parenthèse » dans les réformes s'est pérennisé jusqu'à nos jours...
Comment en est-on arrivé là ?
L'échec de la gauche en 1981 n'est pas dû à son incompétence et à son irresponsabilité économique
L'interprétation dominante, celle des libéraux et des grands médias fait attribuer cet échec à l'incompétence et l'irresponsabilité économique de la gauche au pouvoir qui aurait creusé les déficits budgétaires et commerciaux du pays en opérant une relance économique démesurée (hausse du SMIC et des prestations sociales, créations d'emplois puis réduction de la durée légale du travail...). Les marchés auraient impitoyablement sanctionné cette politique par la spéculation contre le franc qui aurait contraint le gouvernement à des dévaluations successives du franc et auraient rendu les politiques d'austérité inévitables. Les « contraintes extérieures » dans une économie ouverte s'imposeraient immanquablement et invalideraient les politiques économiques d'essence keynésienne.
Or, comme nous l'avons vu dans la partie précédente, le programme de 1981 n'ignorait pas les « contraintes extérieures » et les interdépendances économiques à l'international. En mai 1981, il y a 13% d'inflation et 1,7 million de chômeurs. En 7 ans, le chômage a presque quadruplé. Mais la faiblesse de l'endettement public (environ 20 points de PIB) et les taux d'intérêt réels négatifs sont susceptibles de laisser d'importantes marges de manœuvres au nouveau gouvernement.
Jusqu’en 1982, le PS critique le monétarisme de la droite et son opposition aux politiques keynésiennes. Le franc fort (comme l'euro aujourd'hui !) détruit l'investissement, la croissance et l'emploi, il pénalise nos exportations et favorise les importations. Le PS estime que la droite libérale (non gaulliste) a cessé d'être patriote et a livré notre économie à la mondialisation naissante. Le PS critique aussi durement les options monétaristes de Raymond Barre qui finissent d'achever une industrie déjà affaiblie. Le SME (Système Monétaire Européen) qui inféode le franc au mark renforce les politiques d'austérité. Le plein-emploi passe par le développement de l'emploi industriel plutôt que l'emploi tertiaire, il permet la progression des salaires. Contrairement aux libéraux, les socialistes veulent défendre l'industrie, s'opposer aux délocalisations, faire une politique de relance, réduire l'internationalisation de l'économie française par des pratiques de protectionnisme commercial. Mais, à l'époque, la base industrielle de la France restait faible, ce qui constituait un handicap considérable dans un contexte d'ouverture à la concurrence internationale. Les socialistes savent tout cela en 1980 et ils le disent dans leurs textes programmatiques.Un débat interne traverse le PS à ces sujets : Mitterrand et la « deuxième gauche » de Michel Rocard s'affrontent sur la question nationale et sur le protectionnisme. Les rapports de force politiques vont hélas tourner à l'avantage de la « deuxième gauche ».
La politique de relance vise à satisfaire un électorat lésé par l'austérité giscardienne. La relance a été modeste : en 1975-1976 une relance avait été initiée par Jacques Chirac, Premier ministre, pour une proportion du PNB supérieure à celle de 1981 ! La dépense publique a augmenté fortement. Évidemment, la relance de la demande intérieure va favoriser une hausse des importations, mais un faible endettement et d'importantes réserves de devises permettent d'amortir le choc. Il est très important de comprendre que la politique de relance n'a pas d'abord échoué du fait de mesures politiques inappropriées mais vient du contexte international : récession mondiale, hausse du dollar et des taux d'intérêts mondiaux. Sur les 93 milliards de déficit constatés en 1982, la relance compte pour 27 milliards et la hausse du dollar et des taux d'intérêts pour 57 milliards. Le taux de profit des entreprises a baissé depuis 1973 suite au choc pétrolier, la relance va accroître l'endettement des entreprises ce qui va grever leur capacité d'investissement et restreindre les possibilités de créations d'emplois. La réussite des nationalisations s'appuie beaucoup sur la croissance, or celle-ci est en berne fin 1982 ce qui va diminuer les recettes fiscales attendues en vue de développer l'investissement. D'autre part, aucune démocratisation sérieuse de la gestion de ces entreprises n'a été engagée. Les salariés n'ont jamais eu de pouvoir réel dans ces entreprises. Il y a eu étatisation plus que nationalisation. Le gouvernement finira par gérer ces entreprises comme des entreprises privées classiques en restructurant et en licenciant, et il finira par les privatiser.
Les deux péchés originels de la gauche en 1981 : la non-dévaluation de mai 1981 et la priorité donnée à la « construction » européenne
Il aurait fallu dévaluer le franc dès mai 1981. Maintenir le franc fort, opérer une relance de la demande intérieure, et se maintenir dans une économie ouverte sans restrictions sont des objectifs incompatibles. Le refus de dévaluer et de prendre des mesures protectionnistes ne pouvait orienter que vers une augmentation incontrôlée des importations. L'investissement et l'amélioration des technologies ne pouvait avoir d'effet qu'à long terme, en attendant il aurait bien fallu privilégier la production nationale. L'appel à « acheter français » est insuffisant. Les socialistes voulaient pourtant limiter à 20% du PNB l'intégration de la France dans l'économie mondiale, car comme le dit Pierre Rosanvallon dans Libération en 1982 : « dans une économie ouverte, la marge de manœuvre est étroite. On n'échange pas que des biens et services. Ce sont inévitablement des politiques économiques que l'on finit également par être contraint d'importer »
Ainsi Mitterrand aurait pu dévaluer d'autant plus que « le franc n'a pas bougé par rapport au mark depuis février 78 (…) cette glaciation monétaire s'est traduite par une perte de compétitivité des produits français de 20 % en trois ans (….) i. D'autre part la fuite des capitaux après l'élection provoque une baisse drastique des réserves de devises du franc. « Une dévaluation ou un flottement de la monnaie aurait donc évité une « défense du franc » acquise au prix d'un gaspillage de devises étrangères et d'un relèvement des taux d'intérêt à des niveaux prohibitifs : le taux directeur de la Banque de France est porté à 22 % le 21 mai 81 alors que des montants de cet ordre contredisent à l'évidence l'objectif proclamé de relance » ii. La gauche dévaluera trop tard , trois fois entre octobre 1981 et mars 1983. Mitterrand aurait voulu ne pas saluer la victoire de la gauche par une dévaluation, selon Pierre Mauroy. Sous l'influence de Jacques Delors, il y renonce en 1981. Il avait pourtant la légitimité politique pour le faire. En fait, il s'agit là d'une erreur politique majeure, déjà commise en 1924 et 1936, vouloir battre la droite sur son terrain (le monétarisme) est proprement suicidaire. Mitterrand s'avère, de plus, plus « royaliste que le roi » dans la mesure où De Gaulle en 1958, Pompidou-Chaban en 1969, Giscard en 1974 puis 1976 ont dévalué dès leur prise de pouvoir ! D'autre part, le gouvernement voulait donner des gages de « bonne politique économique » à la CEE et à l'Allemagne en particulier. Une dévaluation du franc et un retrait du SME n'étaient pas sans risques, mais les contraintes liées au renchérissement du coût des importations, au coût du dollar et à la récession mondiale auraient de toute façon existé.
Les socialistes ont attendu une reprise mondiale qui n'est jamais arrivée. La récession et la surévaluation de sa monnaie empêchent la France de développer ses exportations et creusent le déficit commercial. Le gouvernement décide donc une deuxième dévaluation, un blocage des prix et des salaires, il stoppe la relance et freine les dépenses sociales. Le déficit budgétaire ne doit plus dépasser les 3 % du PIB (critère qui sera repris pour tous les pays de l'UE dans le traité de Maastricht en 1992). Ce ratio de 3 % a été défini de façon arbitraire par la direction du Trésor. Les entreprises sont particulièrement pénalisées par le blocage des prix (renchérissement du prix de l’énergie liée à la montée du dollar). Le mécontentement augmente dans la population. Les socialistes vont devoir choisir entre la rupture avec le SME et l'instauration d'un protectionnisme industriel ou le maintien dans la CEE en choisissant une politique de déflation. Le président va arbitrer seul.
Pourtant, il y aurait eu de bonnes raisons de quitter le SME : préserver notre compétitivité par la dévaluation et lutter contre les conséquence de l'inflation, le renchérissement des importations rend les productions françaises plus attractives. Pourquoi lier indissolublement notre appartenance au SME avec notre appartenance à la CEE ? « Le Royaume-Uni ne faisait pas partie du SME; l'Italie bénéficiait de clauses de faveur; la France s'était retirée à deux reprises du « serpent monétaire » (en 1974 et 1976) avant de le réintégrer consécutivement à des dévaluations importantes du franc (30% entre 1976 et 1978). » iiiquant à l'impossibilité de prendre des mesures protectionnistes il faut savoir que le Traité de Rome autorise les pays à prendre des mesures de protection lorsque leur intérêt national est en jeu. Dans la mesure ou les échanges commerciaux de la France avec les autres pays de la CEE étaient largement déficitaires il n'y aurait pas pu y avoir de mesures de rétorsion de leur part ! Les détracteurs de la sortie du SME soutenaient, qu'en raison de la faiblesse des réserves de la Banque de France en 1983, le franc risquait de chuter sérieusement (sans le soutien de l'Allemagne). Comme il aurait été difficile de substituer les productions nationales aux importations la situation pouvait encore se dégrader. La France risquait alors d'être obligée de recourir à l'aide du FMI. A ce sujet Jean-Pierre Chevènement confie en 2021 : « C'était le discours de la technostructure, à mon avis totalement faux. A l'époque, l'endettement public de la France est de 25 % de son PIB, il est aujourd'hui de 100 %.Donc, il y a des marges d'emprunt, de création monétaire. La Banque de France pouvait permettre d'alimenter le système bancaire(...) si nous procédons à une dévaluation assez brutale, ça mettra l'économie allemande en situation d'être beaucoup moins compétitive.(...)J'ai le sentiment que nous avions une marge de manœuvre du côté de la finance américaine. Nous aurions pu nous refinancer(...)une fois la nouvelle parité enregistrée, la fuite des capitaux se serait interrompue. Il aurait suffi de la décider brutalement, sans prévenir, pour éviter la fuite des capitaux. ». Le SME est une « zone mark » comme l'euro est un « nouveau Deutschmark » aujourd'hui !
Le ralliement au SME, et donc au libéralisme va être complet. Mitterrand avait pourtant hésité. En 1982, lors d'une conférence de presse le 16 juin, Mitterrand brandit encore la menace de la sortie du SME en cas d'obstruction des autres pays face aux objectifs de la France. Un groupe informel, piloté par Jacques Riboud, PDG de Schlumberger, appelé les « visiteurs du soir » tente d'influencer Mitterrand pour qu'il maintienne ce cap. Michel Camdessus, nouveau directeur du Trésor fait valoir auprès de Laurent Fabius, ministre du Budget, les arguments catastrophistes exposés plus haut concernant les dévaluations et la tutelle possible du FMI sur le pays. Fabius est impressionné et convainc Mitterrand de maintenir la France dans le SME.
Finalement, les adversaires du SME (Jacques Riboud, Pierre Bérégovoy, Jean-Pierre Chevènement) ont perdu face aux « européistes » (Pierre Mauroy, Jacques Delors, Jacques Attali). Et Henri Emmanuelli de conclure en 1983 : « Nous avons fait notre Bad Godesberg. Nous l'avons fait le 23 mars 1983 à 11h00 du matin. Le jour où nous avons décidé d'ouvrir les frontières et de ne pas sortir du SME, nous avons choisi une économie de marché » (En 1959 le parti socialiste allemand (SPD) se rallie au réformisme lors de son congrès de Bad Godesberg). La France a laissé passer sa chance et grillé toutes ses cartouches entre 1981 et 1983.
Le tournant de la rigueur et la conversion fervente de la gauche au néolibéralisme
Il y a eu peu d'oppositions au tournant de la rigueur. Le contexte politique n'a pas aidé. Mitterrand dispose d'énormément de pouvoir : les syndicats, le Parlement, les partis ne lui font aucune ombre. La majorité absolue au Parlement, les institutions de la Cinquième République lui donnent les coudées franches. Toutes les décisions seront prises depuis le haut sans souci véritable de concertation, de participation réelle de la population à la démocratie. Le PS ne joue pas du tout son rôle de veille critique sur l'action du gouvernement, bien que son rôle soit théoriquement d'assurer « l'articulation constante entre le mouvement populaire et l'action gouvernementale »iv. Le PC est affaibli et ne pèse pas sur les décisions. Jusqu'en 1984 (départ des communistes du gouvernement) le PC ne critiquera guère le gouvernement. Les citoyens ne se mobilisent guère (contrairement à 1936) pour peser sur les choix politiques. Les syndicats sont divisés, il y a peu de luttes sociales. Quatre des dirigeants de la CFDT deviennent hauts fonctionnaires ou ministres. Les lois Auroux sont un progrès, mais le pouvoir décisionnel échappe toujours aux salariés dans les entreprises. La haute fonction publique n'a pas été réformée.
Dans ce contexte, la dérive droitière du pouvoir ne rencontre que peu de freins, d'autant plus que l'idéologie néolibérale a le vent en poupe à ce moment (victoires électorales de Reagan aux USA et de Thatcher au Royaume-Uni). En France, l'idéologie des « nouveaux philosophes » et du journal Libération s'impose médiatiquement : au nom de l' «antitotalitarisme » les intellectuels substituent les « droits de l'homme » aux projets de transformation sociale et se font les chantres de l'atlantisme, de la libre-entreprise, de la mondialisation (cf l'émission emblématique « Vive la crise » présentée par Yves Montand et diffusée en 1984).
A partir de 1983 l'entreprise est célébrée. Le 16 avril 1982, Pierre Mauroy annonce au CNPF (ancêtre du MEDEF) l'arrêt de l'abaissement de la durée du travail pendant deux ans, l'allègement de la taxe professionnelle (onze milliards en deux ans) et le gel des cotisations patronales jusqu'en juillet 1983. La fiscalité sur les entreprises qui avait augmenté sous Giscard, baisse après 1983 ! Yvon Gattaz, responsable du CNPF peut se vanter en 1986 d'avoir « obtenu l'arrêt de l'augmentation des charges sur l'entreprise ». Les socialistes mettent fin à l'indexation des salaires sur les prix. Certains patrons se demandent même s'il ne vaudrait pas mieux pour eux voter à gauche ! Yves Guilhannec, un journaliste libéral révèle en 1986 dans le Point : « Du point de vue de la taxation du capital, la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher est à la gauche de la France de François Mitterrand (…) La vérité, c'est que la gauche a peur des milieux de la finance. Elle achète leur acquiescement au régime en les ménageant fiscalement ». Selon le Financial Times en 1990 les socialistes méritent «la palme du monétarisme ». En effet, « les salaires réels ont, entre 1983 et 1989, progressé trois fois plus vite en Grande-Bretagne (20%) qu'en France (6%); le chômage a reculé en Grande-Bretagne et crû en France, la masse monétaire à progressé de 53% en France et 142% en Grande-Bretagne ».
Fin 1983, le déficit commercial est réduit de moitié par une croissance négative et des salaires réels en baisse. Le chômage explose, les restructurations seront féroces dans les chantiers navals, le charbon, la sidérurgie, l'automobile. La gauche s'effondre aux élections européennes de 1984 . La rupture avec le socialisme est totale : l'Etat se désengage, la baisse des prélèvements obligatoires devient le nouveau credo, alors que les dépenses sociales liées à la crise s'accroissent. Notre système de protection sociale débute sa lente agonie toujours en cours.
Maintenant et jusqu'à Macron la gauche fera parfaitement le « sale boulot » de la droite de façon plus efficace et moins contestée que la droite elle-même.Cette évolution de la gauche a favorisé l'expansion de l'extrême-droite, des mouvements identitaires, racialistes, des communautarismes. « l'économie française dépend de l'Europe, l'Europe libérale interdit des politiques économiques et sociales progressistes; donc, la gauche doit « par nécessité » accepter le libéralisme et se résigner à conduire la politique de ses adversaires. » v Lors de son congrès en 1991 le PS affirme : « le capitalisme borne notre horizon historique ». La messe est dite...«que reste-t-il d'une gauche qui se dépouille de toutes ses valeurs ? Comment apprécier le bilan d'un gouvernement qui ne reconnaît d'autres références qu'une pratique de pouvoir l'autorisant à durer au pouvoir ? La boucle est bouclée : les socialistes ne peuvent plus « trahir » puisqu'ils n'affirment plus rien. » vi
Perspectives : faut-il sauver le soldat « la gauche » ?
Serge Halimi a raison de conclure que les « les socialistes ne peuvent plus « trahir » puisqu'ils n'affirment plus rien. ». A l'exception des 35 heures, la gauche n'a plus porté de projet politique consistant, lorsqu'elle a été au pouvoir après 1981 (1988, 1997, 2012). Le PS, nous l'avons vu, n'affirme plus rien de ce qui devrait pourtant être le cœur de sa doctrine : l'émancipation collective par l'avènement d'un projet de socialisation des moyens de production. Il s'est coulé avec enthousiasme dans le cadre néolibéral, dont il ne revendique plus guère qu'une timide régulation.
Les partis de gauche qui portent encore dans leur discours un projet de rupture avec le néolibéralisme (France Insoumise, Parti Communiste, Génération.s, la gauche d'EELV...) se sont coupés de leur base populaire car leurs militants sont sociologiquement issus des classes moyennes (la « petite bourgeoisie » radicalisée). De ce fait, ils privilégient les questions sociétales qui ne sont pas la première préoccupation des classes populaires. Leur réflexion sur des sujets fondamentaux pour les classes populaires comme le travail ou la protection sociale est faible. Ils sont ambigus sur la question européenne, sur la défense de la souveraineté de la France et sur les mesures protectionnistes à prendre pour se protéger du libre-échange. Certains de ces partis rejettent même les notions de souveraineté et de protectionnisme comme « fascisantes» et ne remettent pas en cause l'appartenance de la France à l'UE. Ils adoptent aussi volontiers des positions anti-laïques par opportunisme électoral. Ils sont souvent dans le déni sur les questions de sécurité ou d'immigration. Nous avons vu pourtant lors de ce parcours historique que les questions de souveraineté, de l'appartenance (ou non) à l'UE, du libre-échange sont fondamentales, aujourd'hui comme en 1981, dans la définition d'un projet politique favorable aux intérêts de la majorité de la population. Il n'est vraiment plus possible d'éluder la question des marges de manœuvre pour un tel projet dans le cadre d'une économie mondialisée. Les forces de gauche, le voudraient-elles, ne semblent plus pouvoir faire ce travail. Elles se sont discréditées lorsqu'elles ont exercé le pouvoir et ne sont plus crédibles.
Au MS21, nous pensons qu'il faut aujourd'hui abandonner cette catégorisation politique d’une « gauche » qui n'est plus capable d'assumer les défis de notre temps. Il est urgent de reconstruire une nouvelle force politique qui vise à rassembler la majorité des Français et qui a intérêt à l'émergence d'une alternative politique réelle. Il ne s’agit pas d’être centriste - le centrisme étant un fourre-tout idéologique, une variante de la droite libérale - ni de s’acoquiner avec l'extrême-droite dont le discours « anti-système » cache un projet lui aussi foncièrement en accord avec le libéralisme.
Sources
* Serge Halimi « Quand la gauche essayait », éditions Agone, 2000
Ibid :
i - ii : p.562 iii: p578 v: p 598 vi : p 466
* Benoît Collombat et Damien Cuvillier « Le choix du chômage », Futuropolis, 2021
* « La semaine où la gauche a basculé à droite », François Ruffin sur le site du journal Fakir :
https://www.fakirpresse.info/La-semaine-ou-la-gauche-a-bascule
iv https://gpthome69.files.wordpress.com/2019/06/1.11_ps_15-theses-sur-lautogestion_1975.pdf